Mais dès lors qu’un service est fourni dans un cadre concurrentiel, que ce soit par une entité publique ou privée, il est potentiellement concerné par les obligations de libéralisation aux entreprises canadiennes, sauf réserve explicite.
Par exemple :
– aucune réserve n’existe en annexe II, ni pour l’UE ni pour la France (alors que c’est le cas pour l’Allemagne), sur la gestion des déchets industriels ou ménagers, qui est un service public, même s’il est délégué à des acteurs privés sous contrat avec les collectivités publiques. Cela implique que le secteur sera ouvert à la concurrence des entreprises canadiennes.
– La livraison de colis est un service public marchand. En France, il est ouvert à la concurrence d’entreprises privées même si la Poste, établissement de droit privé dont l’État est actionnaire majoritaire, propose elle-même ce service. Aucune réserve n’existant dans le domaine, la France devra théoriquement ouvrir le secteur à la concurrence des entreprises canadiennes.
Les mesures futures dont les États membres pourraient décider et qui pourraient alors contrevenir aux dispositions du traité sont listées en annexe II du traité. Dans cette partie, l’UE a explicitement inscrit « Dans tous les États membres l’UE, les services considérés comme des utilités publiques à l’échelle nationale ou locale peuvent être considérés comme des monopoles publics ou comme des droits exclusifs conférés à des opérateurs privés ».
Or la dénomination « utilité publique » qualifie généralement la partie « infrastructure » d’un service, mais ne concerne pas la partie « prestation ». Le problème : dès lors que l’État a déjà libéralisé la partie « prestation » du service concerné, les entreprises canadiennes pourront également s’insérer sur le marché, sauf réserve explicite en annexe II.
La question de l’eau est traitée séparément, mais fait déjà l’objet de spécifications, à la fois dans le texte du traité et dans l’IIC : aucune obligation légale n’est faite aux gouvernements de privatiser, et libéraliser, leurs services de purification et de distribution de l’eau aux usagers. Les problèmes se posent différemment :
• lorsque ces services ont déjà été tout ou partiellement libéralisés, il sera plus difficile de les ramener sous contrôle public.
• Les services d’assainissement et de traitement des eaux usagées ne sont pas a priori couverts par cette exception globale. A moins d’une réserve spécifique des États membres, ils ne sont pas protégés.
De même les « renationalisations » de services ne sont pas interdites par principe par le CETA, ni par le droit commercial en général (elles sont rendues très difficiles par le droit de l’UE cependant). Réaffirmer que le nouveau compromis a permis de remporter cette victoire est une imposture.
En somme aucune protection supplémentaire n’est formulée dans les documents « nouveaux ».
Dans le point 4-1 de l’IIC, la présence d’une liste indicative (éducation, santé publique, logement, eau, services sociaux) de ce que les États membres pourraient considérer comme des services « publics » (fournis dans un cadre d’exclusivité gouvernementale) pourrait même disqualifier ceux qui n’y figurent pas d’y être inclus un jour (transports publics, télécommunications, environnement, services de l’emploi, services de la culture, recherche…
En fait le CETA continue d’induire trois menaces majeures :
• l’impossibilité future de fermer un secteur déjà libéralisé aux entreprises canadiennes s’il n’a pas été explicitement listé en annexe,
• A long terme, la pression sur les volets marchands des services d’intérêt général va conduire à la fragilisation des opérateurs historiques qui fournissent des services certes marchands, mais en assurant des conditions d’accessibilité maximale : les fonctions bancaires ou de distribution de courrier de la Banque postale, les fonctions de transport de la SNCF, par exemple. Si certaines entreprises canadiennes peuvent fournir ces services à moindre coût, pourquoi maintenir des opérateurs para-publics ?
• les services qui ne sont pas listés en annexe ne sont pas exclus du champ du mécanisme d’arbitrage. Or le chapitre 12, qui définit les obligations des gouvernements concernant l’attribution des autorisations, licences, concessions… dépossède la puissance publique de sa capacité discrétionnaire, et de la possibilité de faire valoir des choix collectifs motivés par des critères politiques et sociaux.
• La rupture avant terme des contrats de concession de services pourra être considérée comme une expropriation, même si ses motifs sont légitimes. Les nouveaux documents n’apportent aucune protection pour les municipalités ou collectivités publiques.
« Des mesures de sauvegarde nouvelles pour l’agriculture »
Bruxelles prétend avoir fait de nouvelles concessions dans le domaine, en acceptant de nouvelles mesures de « sauvegarde », autrement dit de protection, de l’agriculture européenne en cas de choc provoqué par la libéralisation des marchés, en particulier de la viande.
Le problème initial
Pour l’Union européenne, 92.2% des droits de douane agricoles seront éliminés à l’entrée en vigueur de l’accord.
Au bout de sept ans, ce sera le cas de 93,8% d’entre eux.
L’UE s’engage notamment à des quotas d’importation énormes sur la viande bovine et porcine :
• Au total, ce sont près de 65 000 tonnes annuelles de viande qui bénéficieront d’une entrée à droits de douane nuls en Europe. L’ouverture de ces nouveaux contingents pourrait bien fournir l’incitation espérée à la structuration d’une filière de viande bovine « sans hormones » au Canada, qui permettrait aux producteurs canadiens d’en faire usage.
• Le contingent de viande de porc accordé au Canada s’élève à 75 mille tonnes de viande de porc – toujours à 7 ans.
Une clause de statu quo prévoit en outre que ces quantités constituent un plancher, en deçà duquel il ne sera plus possible de descendre.
Une victoire en trompe l’œil
La Belgique réaffirme son droit à utiliser les mécanismes de sauvegardé prévus dans l’accord initial.
– la possibilité d’activer l’article XX de l’OMC, qui autorise des mesures de restrictions aux importations en cas de risque sanitaire, environnemental ou de sécurité publique, entre autres, est déjà assurée par l’article 28.3 du traité.
– l’article 3.4 du traité incorpore l’article XIX de l’OMC, qui prévoit un mécanisme de sauvegarde spéciale en cas de risque majeur de déstabilisation sur un segment de marché, notamment agricole, y compris pour les mesures préférentielles (dont les contingents tarifaires sur la viande de bœuf et de porc).
La petite nouveauté
Des seuils précis d’activation de la clause de sauvegarde, spécifiques à la Belgique, seront définis à l’horizon d’un an.
C’est un élément qui facilitera sans doute l’application des dispositions de sauvegarde du texte. Mais cela peut être vu comme un risque si ces seuils sont considérés définitifs et exclusifs d’autres chocs imprévus.
« Protection des normes sanitaires et de la sûreté alimentaire »
Le CETA lui-même ne prévoit pas explicitement le démantèlement des normes sanitaires et alimentaires européennes, qu’il s’agisse du traitement des viandes aux hormones ou des OGM. De ce point de vue le compromis du 26 octobre ne fait que répéter le droit de l’UE en vigueur dans le domaine. En revanche le CETA jette les bases de leur détricotage futur, et les nouveaux textes n’y changent rien.
Le problème initial
Le traité crée à la fois le cadre politique et les mécanismes qui conduiront à long terme à la remise en cause des préférences sanitaires et alimentaires, en Europe comme au Canada, deux systèmes normatifs éloignés dans leurs conceptions et leurs méthodes.
Il instaure dans cette perspective le mécanisme de coopération réglementaire et un certain nombre de dispositions dites de « dialogue réglementaire bilatéral », en particulier dans le domaine des biotechnologies (chapitre 25).
Ces dispositions sont conçues pour alléger, voire expurger, le dispositif réglementaire européen de toutes les lois, normes et règles qui constituent des « obstacles au commerce », et à long terme, au delà du CETA, qui n’en constitue qu’un des multiples instruments. La puissance des lobbies nord-américains, dont un certain nombre ont déjà fait connaître leurs attentes à l’égard de l’UE (sur la question des OGM ou du traitement chimique et médicamenteux des viandes, par exemple), constitue la vraie menace, comme l’a montré l’épisode de l’élaboration de la Directive sur la qualité des carburants en 2013-2014 13.
L’Union européenne est déjà engagée sur le chemin de l’assouplissement réglementaire dans le domaine de l’alimentation :
– l’Autorité européenne pour la sûreté des aliments a autorisé le rinçage des carcasses de bœuf à l’acide lactique en février 2013,
– la même AESA a donné, en avril 2014, un avis positif à l’utilisation de l’acide péroxyacétique dans le rinçage des viandes de volaille, à la suite d’un contentieux engagé par les États-Unis auprès de l’Organe de règlement des différends de l’OMC.
Depuis la signature de l’accord, de nombreuses organisations professionnelles canadiennes se sont empressé de rappeler leurs attentes à l’égard des régulateurs européens, dans le domaine de la production de viande bovine, de la culture du soja ou encore de la production de biodiesel de colza. Tous ont les mêmes attentes : l’assouplissement des réglementations sanitaires européennes.
Quelles garanties nouvelles dans les textes ?
Aucune.
De multiples répétitions du droit de l’UE
Les différents documents répètent le contenu du CETA et du droit européen (obligation de filières d’élevage séparées et certificat vétérinaire pour les viandes importées, directives relatives à la labellisation et la traçabilité des OGM autorisés à la consommation, droit des États d’interdire la culture d’OGM en plein champ).
En dépit des demandes répétées de nombre d’organisations de protection des consommateurs ou de l’environnement en Europe que soit réaffirmé le Principe de précaution dans le texte du traité, l’IIC est muet (le Canada ne prend donc aucun engagement dans le domaine). Les déclaration annexes au CETA réaffirment les modalités d’inscription du Principe de précaution dans les traités européens en référant à l’article 191 qui le définit dans le domaine de l’environnement, et aux articles 168 et 169 du TFUE qui le « reflètent » (sans jamais le mentionner cependant).
A nouveau, le droit de l’UE est ré-énoncé sans aucun ajout affectant les dispositions du CETA lui-même.
Le texte du CETA ne comporte pas une seule mention du dit principe, quand bien même il serait bien explicite qu’il ne s’applique qu’à l’UE et non au Canada, qui ne veut pas en entendre parler. Au contraire, plusieurs chapitres du traité (21 et 25 notamment) appellent à faire évoluer les processus réglementaire vers une plus grande objectivité et le recours à des fondements « scientifiques précis ». En somme l’inverse de ce que sous-tend le principe de précaution.
Le problème, encore une fois, ne réside pas le traité au jour de sa signature. Il concerne ce que ce traité, véritablement vivant, permettra de transformer à long terme parmi les lois, normes et règles qui protègent nos préférences collectives.
La négociation avec le Canada aurait pu aboutir à fixer des standards élevés, aux fins du respect et de l’expansion desquels il aurait organisé une coopération active, bilatérale ou dans les instances internationales, entre les deux parties.
Or le traité considère les normes existantes comme un maximum, et se borne à s’y conformer, sans risque que l’évolution normative future contrevienne aux dispositions du texte.
« De nouvelles indications géographiques »
La Belgique revendique des avancées sur la question des « indications géographiques », ces appellations de qualité définies dans le droit de l’UE qui garantissent (de façon plus ou moins fermée et définitive) l’exclusivité d’usage de la dite appellation aux producteurs européens respectant un cahier des charges précis.
Elle s’était notamment plaint du fait que ses propres IG n’avaient été bien prises en compte dans le processus de négociation initial.
Mais les documents du 26 octobre se contentent de répéter le contenu du traité, soit qu’il sera toujours possible d’allonger la liste plus tard.
Quels nouveaux acquis dans les textes ?
Aucun. L’annexe 20-A du CETA qui établit la liste des IG protégées n’est pas amendée.
Ce que disent les textes additionnels
Ce qui a toujours été établi dans le traité : que les États membres pourraient (Article 20.22) proposer de nouvelles IGP au Comité conjoint du CETA, qui les examinerait et pourrait décider de modifier la liste initiale prévue établie en annexe 20-A. Le Canada doit donc être d’accord.
L’accord conclu entre les entités fédérées belges ne prévoit rien de plus. La Commission s’engage seulement à appliquer le traité, via la création d’un Comité sur les indications géographiques tel que prévu dans l’article 26.2, qui supervisera la mise en œuvre des dispositions de la section C du chapitre 20 relative aux IG.
Moralité : pas davantage d’IG reconnues pour la Belgique.
« Développement durable, lutte contre le changement
climatique, protection des travailleurs »
Si le document « belge » n’y fait pas référence, ces questions ont été identifiées par les syndicats allemands comme figurant dans la liste des insuffisances du traité. C’est pourquoi l’Instrument interprétatif conjoint leur accorde une place significative…. sans jamais apporter le moindre élément nouveau par rapport au texte initial du traité.
Les Belges avaient quant à eux exprimé leur inquiétude de voir des pratiques de dumping social et environnemental émerger chez les entreprises canadiennes souhaitant entrer sur leur marché.
Les insuffisances du CETA
Trois chapitres du traité (22, 23 et 24) sont respectivement dédiés aux questions de développement durable, de droits sociaux et de protection de l’environnement. C’est même un motif d’orgueil de la Commission.
Pourtant :
• ils se bornent à appeler à la coopération et au respect de principes généraux,
• ils privilégient les mécanismes d’auto-régulation et de marché,
• ils ne comportent aucun instrument de contrainte ou de sanction.
Aucune nouveauté dans les textes additionnels
Les chapitres 23 et 24 du traité (respectivement « commerce et droits au travail » et « commerce et environnement ») découragent explicitement le dumping social et environnemental, dans les articles 23.4 et 24.5 respectivement. De ce point l’IIC n’apporte rien de nouveau.
Pour le reste l’IIC se borne à répéter l’existant :
• des dispositions appelant à la coopération bilatérale, et à l’adoption et l’application des accords internationaux, notamment la 8ème convention de l’OIT que le Canada n’a toujours pas ratifiée.
• La volonté de fixer des standards élevés dans le domaine social et environnemental, promesse qui n’engage que ceux qui la croiront.
L’IIC insiste sur le caractère contraignant des mécanismes d’observation et de dialogue prévus par les chapitres 22, 23 et 24, qui permettent à une partie constatant un manquement aux dispositions du chapitre de demander des consultations, voire de saisir un panel d’experts qui pourra analyser la situation et proposer des solutions aux deux parties.
Mais ces outils ne constituent en rien des mécanismes juridictionnels indépendants qui permettraient d’équilibrer la protection des droits des investisseurs par celle des droits sociaux et environnementaux, dans lesquels les particuliers et tiers pourraient recourir à la protection diplomatique.
Deux micro-acquis
• l’ajout à l’IIC de dispositions permettant des mesures correctives non conformes au traité en cas de violation de l’engagement à ne pas recourir à des mesures s’apparentant à des mesures de dumping (point 9.2 de l’IIC).
• La mention de l’Accord de Paris (qui se trouvait déjà dans la première version, si bien que ça n’est pas une victoire « belge »). Elle est toutefois exclusivement indicative et se présente comme l’un des éléments de contexte engageant « la responsabilité de l’UE et du Canada », sans qu’aucune disposition précise, et encore moins contraignante, n’y soit associée. Rappelons que le traité lui-même est complètement silencieux concernant le résultat de la COP21, et les engagements pris par l’UE et le Canada dans ce cadre.
Le CETA n’a donc pas été doté des mécanismes indispensables pour assurer le respect des droits sociaux et environnementaux.
Une façon de procéder aurait pu être, par exemple, d’introduire dans l’IIC un certain nombre de réserves, ou exceptions, établissant :
• la liste des domaines dans lesquels des mesures incompatibles avec le droit du commerce et de l’investissement seraient néanmoins acceptables pour les deux parties,