Bernard Stiegler

Comment, en prison, la philosophie s’est-elle imposée à vous ?

Je me suis d’abord dit que j’allais faire ce dont j’avais toujours rêvé : écrire des romans. Puis je me suis aperçu que je n’avais rien à dire : ce que j’écrivais était très mauvais. J’ai alors voulu étudier les œuvres et faire de la poétique et de la linguistique. Granel, qui avait obtenu l’autorisation de me rendre visite et de me porter des livres, m’a proposé de m’inscrire à l’université, et d’abord de préparer un examen pour pouvoir y entrer. Au cours des premiers mois de cellule, j’ai compris que ce qui était intéressant était de ne pas parler – d’écouter ce qui se faisait entendre dans ce silence. J’ai fait une grève de la faim pour obtenir une cellule individuelle et, au bout de trois semaines, l’administration a cédé. Quand on fait silence, « ça » commence à parler. Et c’est là seulement que l’on dit des choses intéressantes. C’est dans cette situation que, pour la première fois, je me suis mis à étudier – avec passion. En prison, on décuple ses capacités de travail. Une fois passé l’examen d’entrée, je me suis mis à lire Saussure, mais aussi ses critiques, notamment Derrida, et c’est ainsi que j’ai rencontré la philosophie.

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