Genre et populisme pénal : du harcèlement sexuel au harcèlement de la sexualité

Daniel Borrillo

Le populisme pénal est le fruit du néofeminisme qui colonise progressivement le droit français.

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Publié le 21 février 2022

Dans une publication du think tank Génération Libre, le juriste Daniel Borrillo étudie les dérives du néo-féminisme en tant qu’entreprise moralisatrice tendant à reformater les fantasmes sexuels et à refonder les rapports érotiques sur la base de la censure.

Pour l’auteur, cette version du féminisme est devenue un puritanisme sans Dieu où la haine de la sexualité, du corps et de la nudité constituent la trame d’une ascèse post-moderne inauguratrice d’une nouvelle ère de misandrie. Il ne s’agit plus d’égalité entre les sexes mais d’abolir la prostitution, de pénaliser le client, de mettre fin à la pornographie, de condamner le libertinage et in fine, « la jouissance masculine » puisque la tabula rasa instaurée par le féminisme radical n’entend pas s’arrêter à la sexualité subie.

Nous sommes ainsi passés de la lutte contre le harcèlement sexuel (tout à fait nécessaire et participant d’une politique de l’émancipation) au harcèlement de la sexualité par une surenchère normative aboutissant à la codification des sexualités. Et cela non pas au nom de bonnes mœurs ou de la protection des droits d’autrui mais en fonction d’une tutelle généralisée du collectif Femme-Victime. Pour ce faire, un argument faux qui cherche à apparaitre comme vrai (afin de tromper l’auditoire) a été déployé, à savoir : la justice étant complice de la domination masculine tolère la violence faite aux femmes. Derrière la victimisation se cache en réalité une volonté de puissance pure et simple.

Déconstruire l’ordre masculin

Désormais, il ne s’agit plus d’égalité mais de déconstruction de l’ordre masculin.

En effet, alors que les femmes se trouvent protégées juridiquement et socialement comme jamais elles ne l’ont été dans l’histoire occidentale, un discours victimaire a progressivement installé l’idée selon laquelle la justice et la police seraient non seulement insensibles aux violences faites aux femmes mais participeraient d’une certaine forme de laxisme, voire de complicité vis-à-vis d’un système pénal particulièrement indulgent à l’égard des « violeurs » et des « prédateurs sexuels ». Bien que la multiplication des lois répressives en la matière et la statistique criminelle montrent exactement le contraire, une « justice expéditive » s’est imposée utilisant largement les réseaux sociaux pour évincer professionnellement voire bannir socialement tout individu soupçonné d’être auteur d’une infraction sexuelle.

Pour ce faire, les militantes néo-féministes utilisent le genre comme une idéologie de substitution à la classe. L’idée n’est nullement originale, elle fut avancée il y a plus d’un siècle par Friedrich Engels dans L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État lorsqu’il affirmait que « dans la famille, l’homme est le bourgeois ; la femme joue le rôle du prolétariat ». Si le féminisme classique acceptait le droit comme un champ de la lutte politique, le néo-féminisme le conteste comme un outil au service des hommes et au détriment des femmes. Dans la Weltanschauung néo-féministe, le « collectif femme » constitue l’élément à protéger, contrairement à la défense des droits individuels de chaque femme particulière comme le considérait le féminisme traditionnel.

L’efficacité de la rhétorique néo-féministe atteint son plus haut dégré de démagogie lorsqu’elle réussit à imposer l’idée selon laquelle le système judiciaire serait extrêmement laxiste vis-à-vis des violences sexuelles et sexistes. Rien n’est plus faux. Depuis vingt ans les infractions sexuelles ne cessent de s’accroître. Le viol et les agressions sexuelles constituent la quatrième cause d’incarcération. Les détenus pour agressions sexuelles représentent 11 % des condamnés définitifs en France1, alors que la moyenne européenne est d’environ 5 %.

Par la lourdeur de la peine, par son application extraterritoriale, par le régime de prescription de l’action publique (30 ans à partir de la majorité de la victime), par le refus d’aménagement des peines en cas de récidive, par l’interdiction de la médiation, par les mesures de sureté, par le périmètre de circonstances aggravantes, par la possibilité de rouvrir à tout moment l’enquête même sur de faits prescrits, par l’accompagnement des mesures cliniques à côté de la sanction (injonction de soins, castration chimique), par l’étendue des moyens par lesquels l’infraction peut être commise (violences psychologiques et numériques), par les personnes habilitées à constater l’infraction, par l’aménagement de la charge de la preuve et par la création d’un fichier automatisé d’auteurs d’infraction sexuelles (FIJAIS), la criminalité sexuelle est sanctionnée par un dispositif d’exception plus proche de la lutte contre le terrorisme que du droit pénal commun.

Par ailleurs, les études scientifiques démontrent que les criminels agressant des femmes sont condamnés à des peines plus longues que lorsqu’ils s’en prennent à des hommes ; les hommes qui s’en prennent à des femmes sont les criminels condamnés aux peines les plus longues. Inversement, en cas de crime sexuel, les gens considèrent comme moins coupable une femme ayant agressé un homme qu’un homme ayant agressé une femme.

De nombreuses personnalités ont vu leurs carrières artistiques ou politiques voler en éclats par une accusation d’agression sexuelle sans qu’elles n’aient été jugées ni même mises en examen. De nombreuses affaires ont mis en évidence les effets dramatiques des calomnies des supposées victimes promues par certains médias.

Comment expliquer alors cette injonction récurrente de plus de répression dans une société qui a fait de la sexualité l’espace de la criminalité la plus punie et qui ne cesse de renforcer les mesures répressives et préventives en faveur des femmes ?

Cerner ce phénomène, apparemment paradoxal, nécessite qu’on l’appréhende à travers le prisme d’un concept forgé par le « féminisme carcéral », pour reprendre l’expression d’Elizabeth Bernstein, à savoir : la culture du viol (rape culture). Dans ce contexte, au lieu de privilégier la prévention et la justice restaurative, le néo-féminisme choisira l’État punitif comme arme politique. L’abolitionnisme pénal et les prisons ouvertes, exemples du combat du féminisme classique, seront remplacés par une course aux poursuites judiciaires et à l’emprisonnement pour mettre fin au patriarcat. La victimisation et la délation ont progressivement déplacé la responsabilité individuelle et de l’idéal d’émancipation.

La notion de « culture du viol » devient ainsi un outil militant permettant d’effacer l’acte individuel dans un système impersonnel puisque, comme l’affiche un célèbre slogan du néo-féminisme : « viol = crime contre la classe des femmes ». Notons que la notion de viol ne renvoie pas ici à un comportement criminel, celui du violeur, mais à quelque chose supposée systémique et structurelle qui cimente l’identité de la Femme. Le néo-féminisme a développé l’idée selon laquelle, « la pénétration demeure le moyen physiologique par lequel la femme est rendue inférieure ».

Pour une influente théoricienne du féminisme radical  :

Les actes de la terreur s’échelonnent sur un continuum : viol, violence conjugale, exploitation sexuelle d’enfants, guerre, mutilations, torture, esclavage, enlèvement, agressions verbales, agressions culturelles et menaces de mort ou de sévices, menaces étayées par le pouvoir et le droit de passer aux actes. Les symboles de la terreur sont usuels et tout à fait triviaux : l’arme à feu, le couteau, la bombe, le poing et ainsi de suite. S’y ajoute le symbole caché de la terreur, encore plus significatif : le pénis.

Dans ce régime, une femme est nécessairement victime du viol. Si elle prétend le contraire, soit elle souffre d’amnésie traumatique soit elle ignore la contrainte sociale. Dans ce paradigme, nul besoin non plus de procédures pour établir l’accusation.

Le droit français est en train d’être colonisé  par cette idéologie comme le montre la mobilisation des concepts tels que « domination masculine », « emprise », « féminicide », « système prostitutionnel », « patriarcat », « stéréotype de genre », « culture du viol », « sexisme », « phallocratie » ou encore « continuum de violences sexistes », présents dans des rapports officiels, dans des textes de lois et dans le langage des juges et de la doctrine des juristes.

Aussi, il semble fort significatif que le législateur préfère le vocable « violence » à celui « d’infraction » et que la plupart des publications utilisent le terme « victime » comme synonyme de « plaignante » ; alors que pour qu’il y ait victime, il faut d’abord passer par la plainte et permettre à la justice d’engager un combat des vérités (des parties) pour établir la vérité.

De même, depuis plusieurs années, les magistrats constatent une démesure répressive en matière sexuelle où « les crimes sexuels sont souvent plus sévèrement sanctionnés que les crimes de sang ». Et, même si les faits sont prescrits plutôt que de constater l’extinction automatique de l’action, le procureur peut toujours rouvrir une enquête pour vérifier si lesdits faits sont effectivement bien prescrits ou s’il existe d’éventuelles autres victimes.

Une récente tribune publiée dans Le Monde a raison d’affirmer :

Le tribunal médiatique a fini par contaminer l’ordre judiciaire parce que le parquet, censé représenter les intérêts de la société tout entière, a fait le choix d’ouvrir des enquêtes préliminaires sous des motifs spécieux plutôt que d’expliquer le rôle de la prescription, le bien-fondé de la non-rétroactivité de la loi pénale ou l’état actuel du droit qui, désormais, rend tous ces crimes quasi imprescriptibles.

L’État peut multiplier à l’infini les lois répressives et même rendre les crimes sexuels imprescriptibles ; la police peut se consacrer exclusivement à la lutte contre les violences sexuelles et les juges multiplier les peines que cela ne change rien puisqu’il ne s’agit nullement de punir un acte mais de condamner une culture, celle du viol selon laquelle le sexe ne peut jamais être bon puisqu’il est le moyen d’assujettissement des femmes par les hommes, selon l’idéologie néo-féministe.

Le néo-féminisme

Il propose une grille de lecture systémique de la sexualité qui permet d’occulter juridiquement le consentement, même valide, si les actes auxquels on consent sont réputés nier la dignité humaine et réifier la femme, dignité que les néo-féministes prétendent connaitre mieux que les femmes elles-mêmes. La liberté individuelle et l’autonomie de la volonté cèdent ainsi la place à un moralisme paternaliste dont la loi et le tribunal doivent se faire les catalyseurs dans le meilleur des cas, les médias dans le pire.

En France, c’est cette idéologie qui a produit la loi de 2016 sur la pénalisation des clients de la prostitution. Désormais, toute personne qui se prostitue est une victime du système prostitutionnel et tout client un bourreau puisque, comme l’avait théorisé Catharine MacKinnon, « la liberté sexuelle des femmes devient synonyme de liberté d’agression sexuelle pour les hommes ».

Susan Brownmiller avance même que la « capacité biologique au viol » des hommes détermine le soubassement de l’ordre sexuel patriarcal. Dans ce cadre, non seulement la prostitution mais tout acte sexuel devient suspect, en tout cas s’il est de nature hétérosexuelle. Et la représentation même dudit acte apparait comme susceptible d’un préjudice puisque, selon le néo-féminisme, « la pornographie est la théorie et le viol est la pratique ».

Dans un monde patriarcal où les identités sexuelles sont figées, essentialisées presque naturalisées et où les rapports de genre sont nécessairement l’expression de la domination masculine, la seule issue possible est la suppression symbolique des mâles comme le propose Alice Coffin lorsqu’elle écrit :

Il ne suffit pas de nous entraider, il faut, à notre tour, les éliminer. Les éliminer de nos esprits, de nos images, de nos représentations. Je le lis plus les livres des hommes, je ne regarde plus leurs films, je n’écoute plus leurs musiques. […] Les productions des hommes sont le prolongement d’un système de domination…

L’action des néo-féministes consiste justement à faire prendre conscience (woke) au collectif Femme qu’il est le fruit de l’exploitation sexuelle des hommes pour, par la suite, l’inviter à tirer toutes les conséquences. Le néo-féminisme s’est ainsi donné pour mission de démasquer les femmes qui se disent libres et de montrer les déterminismes sociaux qui mènent ces femmes « aliénées » à penser de la sorte.

Alors que le citoyen de bonne foi se réclame des principes démocratiques tels que le droit d’accès à un tribunal indépendant, la présomption d’innocence, l’individualisation des peines, le débat contradictoire, la constitution des preuves, la prescription, le droit à l’oubli une fois la peine purgée, etc., le néo-féminisme, quant à lui, n’a que faire du droit (par nature masculin) et préfère le procès expéditif des médias.

Si le néo-féminisme veut se débarrasser des principes de droit, trop désincarnés et abstraitement trompeurs, c’est pour mieux imposer un nouvel ordre moral fondé sur une essentialisation du genre (mâle=prédateur, femme=proie), une vision pessimiste de la sexualité associée systématiquement à la violence et au pouvoir (une femme qui dit ne pas avoir été victime d’agressions sexuelles n’est pas une vraie femme, elle est victime de « fausse conscience ») et un contrôle psychologique du sujet par la consciousness-raising, autrement dit, la désaliénation si chère à la théorie marxiste.

Les stages de rééducation sexuelle proposés par la loi aux clients de la prostitution comme alternative à la peine participent de cette entreprise d’orthopédie morale si chère aux néo-féministes.

  1. Ministère de la Justice, « Les chiffres clés de l’administration pénitentiaire », janvier 2018, p.6. 

Par :

Daniel Borrillo

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