Covid-19 : L’austérité néolibérale ne fait que prolonger la pandémie

Le gouvernement australien avait deux ans pour construire des hôpitaux, former du personnel soignant, renforcer les services sociaux et fabriquer des tests et des vaccins COVID. Il ne l’a pas fait, car cela aurait été contraire au consensus néolibéral qui unit les deux grands partis.

Source : Jacobin Mag, Liam Flenady
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Des agents de santé au dispensaire COVID-19 drive-in de Bondi Beach, à Sydney, en Australie, en 2021. (Jenny Evans / Getty Images)

Au cours des dernières semaines, les Australiens ont vécu un échec gouvernemental sans précédent de mémoire d’homme. Pour des centaines de milliers d’entre eux, la tentative de se faire tester pour le COVID ou d’accéder au système de santé a mis en évidence un degré remarquable de dysfonctionnement. Pour la plupart, c’est extrêmement stressant. Pour certains, c’est un danger de mort.

Comme l’augmentation du nombre de cas submerge le système de santé publique, il y aura des décès évitables et des souffrances inutiles. En effet, le fait de voir les gouvernements des États et le gouvernement fédéral passer d’une annonce à l’autre a suscité l’anxiété et anéanti la confiance qui subsistait dans le gouvernement. Pour les travailleurs de la santé, le moment n’est rien moins que traumatisant.

Comment en est-on arrivé là ? Les gouvernements australiens ont eu deux ans pour préparer ce moment. Pendant la majeure partie de l’année 2020, les gouvernements des États et le gouvernement fédéral nous ont dit qu’une fois que les taux de vaccination auraient atteint un niveau suffisamment élevé, nous devrions nous ouvrir et « vivre avec le virus. » On pourrait vous pardonner de penser qu’il y avait un plan en place pour faire face à cette nouvelle étape de la pandémie. En réalité, les gouvernements fédéral et des États étaient terriblement sous-préparés. Comprendre pourquoi cela a été le cas met à nu les limites des cadres politico-économiques qui ont dominé l’Australie depuis les années 1980.

Le plan qui aurait dû être établi

Nous avons eu deux ans pour apprendre comment gérer le déconfinement à partir des données et des expériences étrangères. L’Australie aurait pu coordonner tout cela bien mieux, avec beaucoup moins de dommages pour la population.

De toute évidence, l’État aurait facilement pu renforcer considérablement les capacités sanitaires. Au début de la pandémie, le gouvernement aurait pu commencer immédiatement à recruter des milliers d’infirmières et d’agents de santé supplémentaires. Il aurait pu accélérer ce processus en facilitant la formation et en proposant des mesures incitatives pour encourager le recrutement. L’offre d’une augmentation substantielle et/ou d’une prime de pandémie aurait pu contribuer à la fidélisation du personnel, en compensant le tribut payé à la crise, tout en attirant de nouveau sur le terrain les professionnels qualifiés qui ont pris leur retraite ou changé de carrière.

Au début de la pandémie, le gouvernement a signé des contrats avec des hôpitaux privés, pour payer l’utilisation de leurs lits dans les moments critiques. Au lieu de cela, les hôpitaux privés auraient pu être nationalisés et intégrés dans un plan public global. Cela aurait permis de faire des économies et de poursuivre les opérations chirurgicales non urgentes. En outre, en deux ans, nous aurions pu mettre en place des centaines de médecins généralistes et de services de pathologie publics pour coordonner une expansion massive des tests PCR et renforcer les soins à domicile. Au minimum, ils auraient pu créer une ligne d’assistance téléphonique dotée de ressources suffisantes pour donner des conseils aux gens et faciliter l’accès aux ressources dont ils ont besoin.

Au lieu de cela, certains gouvernements ont fait le contraire. Par exemple, le gouvernement travailliste du Queensland d’Annastacia Palaszczuk a gelé les salaires des infirmières en 2020 et a réduit d’un milliard de dollars le financement des hôpitaux sous prétexte de « dividendes d’efficacité ». Dans tout le pays, notre offre de lits de soins intensifs a en fait diminué de deux cents depuis le début de la pandémie.

Nous avions également deux ans pour stimuler la production locale. Le gouvernement aurait pu étendre et prendre le contrôle de la fabrication des tests PCR, des tests antigènes rapides (RAT), des masques N95 et des oxymètres pour la surveillance à domicile. Il aurait été beaucoup plus facile de distribuer gratuitement ces fournitures indispensables et de répondre à la demande lors des pics de consommation.

Au lieu de cela, les gouvernements fédéral et étatiques n’ont pratiquement rien fait pour améliorer notre capacité de fabrication de fournitures médicales. En 2020, le gouvernement du Queensland a accordé à une société locale une subvention d’une valeur non divulguée pour augmenter la production de RAT. Ellume produit désormais cent mille RAT par jour – mais ils sont expédiés sous contrat aux États-Unis.

Le gouvernement aurait également pu renationaliser les Commonwealth Serum Laboratories (CSL) ou créer une nouvelle société pharmaceutique publique pour développer et produire des vaccins et des antiviraux. C’est d’ailleurs ce qu’ont demandé les Verts du Queensland au début de la pandémie. En plus de surmonter les retards nationaux dans le déploiement des vaccins, cela aurait permis à l’Australie de soutenir la vaccination des pays en développement. Au lieu de cela, le gouvernement fédéral n’a signé que récemment un accord de principe avec Moderna pour commencer à produire leurs vaccins en Australie d’ici 2024. Et même dans ce cas, l’Australie ne cessera pas de verser des millions aux multinationales pharmaceutiques.

Enfin, en deux ans, nous aurions pu concevoir un système complet de soutien social. Nous aurions pu mettre en place des congés payés facilement accessibles en cas de pandémie et des congés pour les aidants. Nous aurions pu renforcer de manière permanente l’aide sociale et l’aide sanitaire. Il serait ainsi beaucoup plus facile pour les gens de s’auto-isoler lorsqu’ils sont malades ou exposés. Au lieu de cela, le fait d’être testé positif ou d’être exposé a entraîné une perte de revenus pour beaucoup.

Pourquoi l’Australie a-t-elle tout gâché ?

Alors que les gouvernements travaillistes des États visaient à éliminer le COVID-19 durant la majeure partie des années 2020 et 2021, les Libéraux ont toujours préféré une approche de type « laisser faire ». Malgré ces différences, tous les gouvernements ont échoué au cours des dernières semaines. Et cela révèle une unité plus profonde entre les deux grands partis. Les deux se sont fondamentalement détournés de la poursuite de tout plan qui inclut l’expansion des capacités en matière de santé et d’aide sociale. Pour faire mieux, nous devons comprendre pourquoi il en est ainsi.

Une partie de la réponse est le coût à court terme. Il était moins coûteux de s’appuyer sur les fermetures des magasins et des frontières et sur le maintien de l’ordre que sur l’augmentation massive des dépenses sociales qui serait nécessaire pour permettre à l’Australie de faire face au COVID. Après une première vague de dépenses de crise en 2020, le gouvernement fédéral a accumulé une dette importante et cherche maintenant des moyens de faire des économies à long terme (c’est-à-dire de transférer la charge sur les citoyens).

Continuer à dépenser sans nouvelles sources de revenus risquerait de voir la notation de crédit de l’Australie sanctionnée par le capitalisme financier international. De toute évidence, les dépenses déficitaires auraient pu être évitées ou remboursées en imposant des taxes ou en instituant un prélèvement pandémique sur les milliardaires, les grandes sociétés minières et les sociétés bancaires. Mais cela aurait provoqué une réaction négative de la part de certaines des forces les plus puissantes de la société.

Le coût, cependant, n’explique pas tout. Le gouvernement fédéral est heureux de dépenser des sommes exorbitantes pour l’armée – par exemple, les contrats récemment signés pour des sous-marins nucléaires et des chars d’assaut coûteront au moins 135 milliards de dollars.

L’autre partie de la réponse est institutionnelle. Depuis les années 1980, les deux partis, ainsi que l’establishment politique – groupes de réflexion, cabinets de conseil, médias, haute fonction publique – se sont engagés dans le néolibéralisme. Cette doctrine considère le marché privé comme le véhicule privilégié pour la fourniture de services. Selon ce modèle, les gouvernements ont privatisé les services publics, puis ont payé ces entreprises privées pour qu’elles fournissent ces mêmes services.

Cette doctrine économique a gravement échoué. D’une part, les fournisseurs privés se sont révélés inaptes et inefficaces. Par exemple, la privatisation de l’énergie a fait grimper les prix tout en rendant plus difficile la planification de la transition vers l’énergie verte. D’autre part, des réformes comme la politique nationale de concurrence de Keating en 1995, qui a imposé la logique du marché aux services publics, les a dépouillés de leurs capacités en les obligeant à rationaliser leurs opérations. Dans les hôpitaux publics, par exemple, l’efficacité signifiait qu’il fallait réduire toutes les contraintes du système et faire fonctionner les hôpitaux constamment à pleine capacité. Ainsi, lorsque la pandémie a commencé, nos hôpitaux faisaient déjà des heures supplémentaires.

Aucune des justifications idéologiques du néolibéralisme ne fait plus recette. Il est évident depuis longtemps que le but ultime était de stimuler les profits des entreprises. Sous le néolibéralisme, les gouvernements ont prouvé qu’ils pouvaient dépenser beaucoup – par exemple pour l’armée – à condition de ne pas remettre en cause les profits des entreprises, par exemple en développant les services publics.

Cette vision du politique – et des structures de pouvoir correspondantes – est si profondément ancrée dans les partis au pouvoir et les institutions de l’État qu’il est peu probable qu’un proche du pouvoir ait même envisagé l’alternative, axée sur la propriété ou la planification publiques.

Cependant, il y a peut-être une explication plus importante et qui donne à réfléchir derrière l’échec de l’Australie face à la pandémie. Il n’existe aucun groupe important dans la société qui prône une alternative au capitalisme néolibéral. Les politiques qui vont à contre-courant, aussi rationnelles et réalisables soient-elles, ne seront pas adoptées sans une pression sociale importante. Au lieu de débattre d’une réponse publique et planifiée à la pandémie, l’atmosphère d’urgence qui régnait au début a fait que la plupart des débats ont porté sur les fermetures de magasins et de frontières. Il ne fait aucun doute que les faibles attentes du public – elles-mêmes le résultat de décennies de privatisation – y ont également contribué.

Après deux ans, nous devons changer d’orientation. Espérons que les nouveaux cas atteindront un pic puis diminueront dans les mois à venir, et avec eux, les hospitalisations. Cependant, le virus ne va pas disparaître complètement et de nouveaux variants sont susceptibles d’apparaître. L’ère des confinements et des fermetures de frontières étant révolue, il est temps de plaider pour un investissement massif dans notre santé publique et nos services sociaux. C’est le seul moyen de mettre fin aux sacrifices et aux privations de la pandémie, et de reconstruire sur une base plus juste et plus saine.

Liam Flenady est le directeur de la campagne des Verts australiens à Griffith.

Source : Jacobin Mag, Liam Flenady, 20-01-2022
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises