Mélenchon ou la consternante ignorance de l’économie
L’analyse économique de Jean-Luc Mélenchon est caricaturale. Un diagnostic truffé d’erreurs.
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Meeting Mélenchon Parc des expos (70) By: Blandine Le Cain – CC BY 2.0
Orateur tribunitien de très grand talent, Jean-Luc Mélenchon soulève l’enthousiasme dans ses meetings. À coups de phrases-chocs (« Les riches sont des assistés ») et de chiffres percutants (« 27 personnes possèdent autant que la moitié de l’humanité ») il a une fois encore montré l’étendue de son savoir-faire à Montpellier le 13 février.
Devant 8000 militants acquis à sa cause, il a exposé sa vision du monde, une vision qu’il qualifie lui-même de caricaturale (« Je suis caricatural parce que la situation est caricaturale »).
Caricaturale, sa conception de l’économie l’est incontestablement.
L’économie « c’est aussi simple que ça »
« L’économie c’est juste comme le chauffage central, ça tourne. C’est tout, ce n’est pas plus compliqué que ça ». Ceux qui vous disent le contraire cherchent donc à vous enfumer. De même, « l’État ne prend rien, il fait circuler ». En découle une idée du circuit pour le moins rudimentaire : ce qui est prélevé par l’impôt sert à créer des emplois qui donnent lieu à distribution de salaires qui alimentent la consommation.
La TVA et l’impôt sur le revenu reviennent alors dans les caisses de l’État et bouclent d’autant mieux le circuit qu’il y aura moins d’allocations chômage à verser et moins de malades à soigner (puisqu’« il y a 14000 personnes qui meurent du chômage dans ce pays »). C’est sur la base de ce raisonnement que pour une bonne part sont financés les 200 milliards de dépenses supplémentaires que coûtera son programme de transition écologique.
Pour que tout se passe bien, il faut cesser de considérer l’économie du point de vue de la marchandise mais la gérer sous l’angle des besoins : « Nous allons gouverner par les besoins ». Mais qui définit ceux qui sont légitimes et ceux qui ne le sont pas ? Certainement pas le marché réduit à la portion congrue (« supprimer le marché là où il n’a rien à faire ») mais l’État, c’est-à-dire le politique et en définitive un comité très restreint, comme ce fut longtemps le cas dans la défunte URSS.
Autre fondement des melanchonomics, l’économie est un jeu à somme nulle. Ce que les uns gagnent les autres le perdent. Celui qui s’enrichit le fait au détriment des autres. Les riches sont donc responsables de tout, ils se gavent pendant que les autres crèvent. Tout ce que les économistes ont pu dire sur la croissance et le dynamisme des économies développées qui ont prospéré depuis maintenant plus de deux siècles est manifestement nul et non avenu.
Un diagnostic truffé d’erreurs
Les contrevérités sur lesquels se fonde le tribun sont légion.
Son point de départ est que depuis le tournant du néo-libéralisme au début des années 1990, nous vivons sous le joug d’un capitalisme financier parasitaire qui détruit « tous les services publics sur toute la planète » et qui, « pour la première fois dans l’histoire de l’humanité produit un terrible déséquilibre entre ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien ».
Que depuis 30 ans l’espérance de vie ait augmenté sur tous les continents, que la faim, la maladie et la pauvreté ait reculé partout dans le monde, que le niveau de vie ait spectaculairement progressé pour des centaines de millions de personnes échappent manifestement à l’orateur.
Pour ce qui est de notre pays, « au cours des années qui précèdent 10 points de PIB sont passés des poches du travail à celles du capital et il n’y a jamais eu autant de chômage, de misère et de difficultés ». Or depuis plus de 30 ans la part des salaires dans la valeur ajoutée n’a guère bougé en France : elle oscille toujours autour de 65 % du PIB.
Revenant sur le thème de la misère, le tribun affirme qu’il n’y a jamais eu autant de travailleurs pauvres auxquels il faut ajouter « ceux qui ont été réduits en esclavage, les autoentrepreneurs ». C’est évidemment plus qu’exagéré. Le taux de pauvreté en France était nettement plus élevé en 1975 qu’il ne l’est aujourd’hui. Quant aux inégalités, si on ne se polarise pas sur les 0,001 % du sommet de la distribution des revenus, il est facile de vérifier que les indicateurs habituels (rapport interdécile et coefficient de Gini) placent la France parmi les pays les moins inégalitaires du monde développé.
Jean-Luc Mélenchon trompe aussi son auditoire lorsqu’il évoque « un pays aussi fabuleusement riche que le nôtre », un pays qui pourrait donc supporter bien plus de dépenses publiques. Ce pays fabuleusement riche a pourtant depuis 2008 dégringolé d’une vingtaine de places dans les statistiques du FMI et de la banque mondiale en termes de PIB par habitant.
En outre, quand il prétend que les Français « sont les travailleurs les plus productifs du monde » il oublie de préciser que nos performances ne sont bonnes que si on raisonne en termes de productivité horaire mais que c’est absolument faux si on se réfère à la productivité par tête en raison des 35 heures et d’un âge encore précoce de départ en retraite.
Une analyse biaisée
En premier lieu Mélenchon commet une erreur fondamentale sur la nature de l’accumulation qui n’est pas un tas d’argent détourné par des satrapes qui se gobergent. Lorsqu’on arrive au niveau de fortune accumulé par un Bernard Arnault, cela permet bien sûr à celui qui l’a atteint de mener un train de vie exceptionnel.
Mais pour l’essentiel ce capital ne passe pas dans la consommation de son propriétaire. Composé d’actions à la valeur éminemment fluctuante, il lui confère avant tout des droits de contrôle sur un outil de production. Il le met en position d’en optimiser le fonctionnement et l’efficacité. S’il n’est pas le meilleur pour le gérer, des mains plus expertes finiront par s’en emparer comme le montrent les récentes mésaventures du groupe Lagardère.
Le régime économique dans lequel nous vivons donne de fait à quelques capitaines d’industrie une forte emprise sur une fraction du système de production et de distribution des biens. Pour les partisans du dirigisme, c’est un scandale insupportable. Convaincus que l’État doit concentrer tous les pouvoirs, ils ne voient pas que cela ouvre la route de la servitude pour le plus grand nombre et mène au totalitarisme. Comme le relevait déjà Keynes, pourtant partisan d’un interventionnisme appuyé, il vaut mieux qu’un homme assoiffé de pouvoir exerce sa tyrannie sur son compte en banque plutôt que sur l’ensemble de la population.
À cette incompréhension délibérée du rôle de la richesse s’ajoute celle du rôle de la finance lorsque Mélenchon ironise sur le risque que le capital est supposé prendre, « risque égal à zéro. »
La finance ne servirait donc à rien et le risque financier n’existerait pas, ce qui est grossièrement faux comme le savent tous ceux qui ont un tant soit peu étudié la question : l’innovation suppose la prise de risque et sans la finance il n’y aurait ni innovation ni croissance.
En émettant des actions une firme dispose d’une source d’argent gratuit qu’elle n’aura jamais à rembourser. De plus, si le cours de ses titres monte, elle accroît ses moyens de prendre le contrôle d’autres entreprises (ce qui est source de plus d’efficacité) et d’attirer les meilleurs (par les stock-options), d’où l’intérêt pour elle de racheter ses propres actions quand elle est en mesure de le faire.
Traduit dans les termes du chef de la France insoumise cela donne : « Ils rachètent leurs propres actions, ce qui ne sert à rien » alors que les 16 milliards d’euros que cela leur coûte aurait permis de mettre au travail « 300 000 personnes payées à 2000 euros pendant un an ». Additionner des carottes et des tubes de dentifrice ne mène pourtant pas à grand-chose, comme ne l’ignore pas un élève moyen de CM2.
Des remèdes qui tuent
Dans la droite ligne des médecins de Molière, Diafoirus et Purgon, monsieur Mélenchon préconise une médecine qui tue plus sûrement qu’elle ne soigne
Sa performance fait irrésistiblement penser au troisième intermède du Malade Imaginaire.
Dans cette cérémonie burlesque d’un homme qu’on fait médecin, à toutes les questions le candidat oppose une formule définitive : « Clysterium donare, postea saignare, ensuita purgare »
Ce à quoi en chœur l’assemblée répond : « Bene, bene, bene, bene respondere »
Une bonne saignée de riches et une bonne purge de financiers sont supposés venir à bout de tous nos maux.
Pour financer les 200 milliards de dépenses supplémentaires de son programme, « Il faut des sous, donc je les prends ».
À qui ? Aux plus riches. Problème, ils sont déjà partis puisque notre pays souffre d’une évasion fiscale massive sans cesse dénoncée par les insoumis mais contre laquelle ils ne seraient pas en mesure de lutter efficacement dans le monde tel qu’il est. Heureusement il y a le plan, la panacée miracle qui devrait permettre de surmonter tous les obstacles puisque le problème, le seul « c’est de remplir le carnet de commandes », ce dont on peut sérieusement douter.
Le reste n’a guère d’importance puisque « le coût du travail n’est pas le problème ». On pourrait même l’alourdir en supprimant les contrats à durée déterminée : les précaires, « on les titularise tous ».
Or si les CDD existent c’est directement lié à la coûteuse protection dont bénéficient les titulaires de CDI. Si les CDI sont imposés partout, l’explosion du chômage est inévitable. Autre élément du credo qui aboutit au même résultat : « La vérité c’est qu’il faut qu’on partage le temps de travail de manière qu’on puisse travailler moins pour que tout le monde travaille ». On sait pourtant où les 35 heures nous ont mené.
Enfin pour ce qui est de l’inflation, là aussi les choses sont dangereusement simples : « Dans deux mois, si vous voulez, tous les prix des produits de première nécessité seront bloqués ».
Et pour finir Robespierre
C’est une manière de ressusciter l’économie selon Robespierre et la loi du maximum qui en a envoyé plus d’un à la guillotine. Votée le 29 septembre 1793, elle imposait un plafond au prix de vente des grains et des farines sur tout le territoire français.
Elle fixait également des maxima pour les prix de 39 articles allant de la viande au miel en passant par les choux-raves et les sabots. Pour faire bonne mesure elle bloquait aussi les salaires et prévoyait que le nom de toute personne vendant ou achetant au-delà du maximum serait inscrit sur la liste des suspects. Cette tentative d’économie dirigée produisit des effets absolument contraires aux résultats escomptés, les paysans se mettant à dissimuler leurs récoltes pour ne pas avoir à les vendre à perte et les spéculateurs se précipitant pour acquérir tout ce qu’ils pouvaient. Face à la pénurie qui en résulta, il fallut sévir sans trembler et décapiter les contrevenants.
L’économie selon Robespierre c’est donc la Terreur mais aussi le manque généralisé de biens essentiels, l’hyperinflation, la fuite devant la monnaie et la ruine des porteurs d’assignats.
L’effet Dunning-Kruger
« Le vrai problème de l’économie n’est pas que les gens n’y comprennent rien, il est que chacun est persuadé a priori d’y comprendre quelque chose ».
On ne sait pas et on ne sait pas qu’on ne sait pas. C’est cette ignorance au carré qui permet à Jean-Luc Mélenchon d’entretenir à peu de frais la colère de ses troupes. De cette situation les déficiences de l’enseignement de l’économie dans notre pays sont pour une bonne part responsables.
Quand envisagera-t-on enfin de sérieusement s’y attaquer ?
Par : Pierre Robert