Le gouvernement néolibéral d’Emmanuel Macron remplace les aides sociales par un système de travail punitif

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Emmanuel Macron continue de s’attaquer à l’État-providence français. Après sa réforme rétrograde de l’âge de la retraite qui a suscité des manifestations de masse, il cherche maintenant à obliger les demandeurs d’emploi à effectuer un travail non rémunéré en échange de leurs maigres allocations.

Source : Jacobin, Marlon Ettinger
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le président français Emmanuel Macron s’adresse à la presse dans le sud de l’Espagne, le 6 octobre 2023. (Ludovic Marin / AFP via Getty Images)

En septembre dernier, le ministre français du Travail, Olivier Dussopt, a annoncé que des zones entières du pays avaient été sélectionnées pour participer à une expérience. Il s’agissait de tester une réforme du Revenu de solidarité active (RSA), une prestation qui apporte un soutien financier minimum aux personnes ayant de très faibles revenus. Actuellement, environ 1,6 million de ménages français bénéficient de cette aide sous certaines conditions. Mais avec l’expérimentation dans 19 des 101 départements français, le programme a soumis les bénéficiaires à un nouveau programme comprenant des obligations de passer au moins quinze heures par semaine à suivre un plan de réinsertion dans le monde du travail. « L’ensemble de ces départements, explique un communiqué de presse du gouvernement sur l’expérimentation, reflète une grande diversité géographique, démographique et sociale. »

Un an plus tard, le reste de la France pourra goûter aux fruits des expériences que le Dr Macron a menées sur ses heureux patients. Cette réforme a été formalisée dans la nouvelle loi sur l’emploi du gouvernement, qui a été débattue à l’Assemblée nationale la semaine dernière. Depuis l’annonce faite par la Première ministre Élisabeth Borne en avril dernier, il est officiel qu’un élément central de la réforme consistera à subordonner l’accès au RSA à des conditions de travail.

Cette réforme avait déjà été diffusée par le président Emmanuel Macron lors d’une annonce faite en mars 2022, pendant sa campagne de réélection. Les bénéficiaires de l’allocation ont, selon lui « l’obligation de consacrer quinze à vingt heures par semaine à une activité qui facilite leur réinsertion professionnelle, pour un meilleur équilibre entre droits et devoirs. »

Une partie de la réforme consiste à remanier les agences Pôle Emploi, où les Français sans emploi bénéficient d’une aide financière et logistique pendant qu’ils cherchent un emploi. Dans le cadre de ce remaniement, le service sera rebaptisé France Travail. Au lieu d’aider les chômeurs à trouver un emploi ou de leur donner de l’argent pendant qu’ils en cherchent un, il les mettra véritablement au travail, puisqu’ils devront désormais consacrer au moins quinze heures par semaine à une activité en échange du maintien de l’allocation, qui s’élève à un peu plus de 600 euros par mois pour une personne. Les récalcitrants s’exposeront à des amendes et des sanctions répétées, pouvant aller jusqu’à la perte pure et simple de leurs allocations.

Macron diabolise les pauvres

Macron a été élu en 2017 avec une dose de soutien du centre-gauche, les forces dirigeantes du Parti socialiste où il a commencé sa carrière politique. Mais il s’est aussi fortement appuyé sur les réseaux influents entourant l’ancien président Nicolas Sarkozy, un homme de droite réactionnaire. Au cours du premier quinquennat de Macron, ce bloc de centre-gauche a été presque entièrement aliéné. Maintenant que ses alliés détiennent qu’une partie – et non la majorité – des sièges à l’Assemblée nationale, le seul moyen pour Macron de gouverner est de s’allier à la droite, dans ses formes traditionnelles comme dans ses formes insurrectionnelles. Cela signifie qu’il doit répondre aux obsessions et aux agendas de ces forces.

Lors des débats à l’Assemblée nationale la semaine dernière, cette coopération a été pleinement mise en évidence. Le parti de droite traditionnel Les Républicains (LR) et le gouvernement ont voté ensemble pour colmater les brèches laissées dans le projet de loi, qui a été adopté par le Sénat en juillet.

« Nous considérons que l’amendement de Juvin [député LR des Hauts-de-France, où le PIB par habitant est le plus élevé du pays] va dans le bon sens, car il permet à la fois de fixer l’objectif de quinze heures d’activité hebdomadaire pour les bénéficiaires du RSA et de prévoir une montée en charge progressive » a déclaré Dusspot.

Le projet de loi formalise l’exigence d’une activité « d’au moins quinze heures » par semaine, concrétisée par un « contrat de travail » à établir entre l’agence locale du RSA et le demandeur d’emploi. Ce contrat devra prévoir un projet de retour à l’emploi du demandeur d’emploi, portant sur son parcours professionnel et son expérience, ainsi qu’un volet décrivant ce que serait pour lui une offre raisonnable d’emploi. Il définit également les sanctions en cas de non-respect du contrat, notamment la suspension de l’allocation jusqu’à ce que le demandeur d’emploi recommence à suivre le plan.

« Macron fait de la politique, en stigmatisant les plus pauvres et en leur faisant porter la responsabilité des maux de la société », déclarait Laurent Alexandre à Jacobin au moment de la mise en place de ce programme expérimental. Laurent Alexandre est le député de La France Insoumise pour l’Aveyron, un département situé à l’intérieur des terres méditerranéennes et au nord de Montpelier. Il explique qu’il est ridicule d’imaginer que l’obligation de travailler est une mesure nécessaire pour mettre au travail les chômeurs paresseux. « Le manque d’emploi est la situation dans l’immense majorité des cas. Il y a un emploi proposé pour quatorze chômeurs ! »

Alexandre a également souligné que l’imposition de conditions de travail pourrait faire baisser les salaires en général.

« Un aspect caché est que les heures de travail qui seront demandées aux bénéficiaires du RSA seront sous-payées, voire non payées, explique-t-il. Il y a un gros risque de pression à la baisse sur les salaires et les conditions de travail des salariés, qui seront exposés à la concurrence des bénéficiaires du RSA qui devront faire ces quinze-vingt heures d’activité. »

Dans le département où Alexandre a remporté l’élection face à un candidat du parti de Macron en 2022, le territoire choisi pour cette expérimentation est l’ouest-Aveyron. « [C’est] le territoire où il y a le plus de personnes précaires » commente Alexandre. C’est aussi le territoire qui l’a élu, rappelle-t-il, en tant que représentant de la gauche française.

La Seine Saint-Denis : une vitrine pour les plus pauvres de France

Dans le nord du pays, juste au-dessus de Paris, se trouve la Seine Saint-Denis, qui affiche le deuxième taux de pauvreté le plus élevé de France. C’est l’un des départements choisis pour expérimenter la réforme. Mais le département, qui est gouverné par une coalition de gauche dirigée par le Parti socialiste (PS), a rejeté la mesure.

Silvia Capanema-Schmidt, conseillère municipale de Seine Saint-Denis, a déclaré à Jacobin que cette décision avait été prise par le président du département en concertation avec la majorité de gauche. Mme Capanema-Schmidt fait partie d’un groupe composé de membres du Parti communiste (PC) français et de La France Insoumise (LFI). Tous les membres de la gauche, dit-elle, sont opposés à l’expérience.

Dans une lettre à Dussopt rapportée par linfoauquotidien.com, Stéphane Troussel, président socialiste du conseil départemental, a déclaré : « La doctrine portée par le gouvernement, en matière de conditionnalité des aides sociales […] me semble être une fracture grave dans notre République. »

« Mettre tout le monde au travail quoi qu’il en coûte ne peut être l’unique et seule priorité de nos politiques publiques, écrit également Troussel. Le RSA est un droit social fondamental. »

Le haut commissaire au Travail du gouvernement, Thibaut Guilluy, a rejeté la lettre de Troussel en la qualifiant de « politique ». Il a déclaré que l’objectif du gouvernement était d’harmoniser les régimes de sanctions entre Pôle Emploi et les départements. « Mais, a-t-il ajouté, le conseil départemental conserve le droit d’appliquer ou non la sanction. »

Capanema-Schmidt a déclaré à Jacobin que Troussel avait consulté certains membres du conseil de Seine Saint-Denis avant d’envoyer sa lettre au ministre du Travail. « Nous, élus Insoumis, sommes contre […] la mise en place de cette expérimentation dans le département depuis le début. » Depuis 2016, le RSA est entièrement financé par le département. La Seine Saint-Denis est le département qui compte le plus d’allocataires du RSA en France.

C’est pourquoi, à chaque fois qu’un nouveau programme social ou politique est mis en place, le gouvernement se tourne vers la Seine Saint-Denis. « Parce que la question sociale est très importante en Seine Saint-Denis, ils s’en servent comme d’une sorte de vitrine. »

« Nous refusons plusieurs choses, a déclaré Mme Capanema-Schmidt. Avant tout, le principe du volontariat obligatoire. » Le revenu minimum, explique-t-elle, est celui auquel chacun a droit pour survivre et exister dignement. De ce point de vue, La France Insoumise s’oppose au principe même du changement de politique.

Mme Capanema-Schmidt a également déclaré que le RSA devrait être centralisé par l’État : « Parce qu’il s’agit d’une prestation nationale et non d’une prestation locale. » En même temps, l’administration devrait être locale – en raison de la présence sur le terrain des bureaux locaux et de la capacité qu’ils ont à suivre de près les progrès des bénéficiaires.

De plus, le financement actuel du RSA est loin d’être suffisant, selon Capanema-Schmidt. Le montant de l’allocation est inférieur au seuil de pauvreté qui, selon elle, devrait être un strict minimum. Pour une personne seule, il faudrait un minimum de 900 euros par mois. (Actuellement, le montant moyen versé à une personne seule bénéficiant du RSA n’est que d’environ 600 euros par mois).

La réforme remet en question l’idée même de verser des prestations à des personnes qui ne travaillent pas. Le danger, selon elle, est de remettre en cause le principe même d’un revenu minimum garanti. Les bénéficiaires du RSA, dit-elle, ne sont pas ceux qui vivent grassement des dividendes de l’Etat, ce sont des pauvres aux moyens très modestes.

Alexandre fait écho à ce sentiment en affirmant que l’obligation de travail fait partie d’une campagne du gouvernement visant à cibler les plus pauvres de la société. « Ce ne sont pas les pauvres qui coûtent trop cher à la France, a déclaré Alexandre. Ce sont les riches qui se gavent sur le dos des autres et refusent de partager les richesses produites par le travail. »

Suivre l’exemple de Giorgia Meloni

Lors d’un voyage en Chine cette année, le ministre français de l’Economie, Bruno Le Maire, s’est félicité d’un niveau de croissance plus élevé que prévu au deuxième trimestre. Au lieu de progresser au rythme prévu de 0,1 %, l’économie française a enregistré une croissance de 0,5 %, ce dont il pouvait se vanter. « Tous les experts ne croyaient pas que la croissance française pouvait être tirée par l’industrie et le commerce extérieur, a-t-il déclaré. Pourtant, c’est bien ce qui s’est passé. »

Les calculs budgétaires de Macron exigent une croissance d’au moins 1 % cette année, un chiffre qu’ils ont déjà revus à la baisse par rapport à 1,3 %. Sans cette croissance, le déficit augmentera, favorisant une spirale de coupes justifiées par des recettes fiscales plus faibles et une « austérité sans précédent » comme l’économiste Éric Berr, professeur associé à l’université de Bordeaux, l’a déclaré à Jacobin en avril.

La croissance plus élevée que prévu, note le journal Le Canard enchaîné, signifie qu’en théorie le gouvernement peut équilibrer son budget en faisant 4 à 5 milliards d’euros de coupes de moins que les 15 milliards d’euros qu’il a prévus.

Toutefois, la Première ministre Borne a déclaré à ses ministres de la Santé et des Comptes publics, lors d’une réunion fin juillet, que les coupes se feront « dans la sphère sociale en général, qui représente 50 % de nos dépenses » selon Le Canard. Parmi les pistes envisagées figurent l’augmentation du coût des médicaments et des transports en ambulance, ainsi que la réduction des charges patronales.

Le programme de Macron, qui consiste à rogner lentement sur le célèbre système de protection sociale français, a son équivalent plus avancé en la personne de la Première ministre italienne, Giorgia Meloni. Dans le premier budget de la dirigeante dite « post-fasciste », adopté à la fin de l’année dernière, elle a ordonné la suppression du « revenu citoyen » du pays, une prestation similaire au RSA français.

Le 27 juillet dernier, 169 000 familles italiennes ont reçu des SMS du gouvernement les informant de la suppression de leurs allocations. David Broder, rédacteur en chef de Jacobin pour l’Europe, a rapporté dans The Nation au début de l’année que le revenu citoyen était une obsession particulière pour Meloni. « L’État ne peut pas abolir la pauvreté par décret, a-t-elle déclaré à l’époque. Ce sont les entreprises qui créent des emplois. »

Macron a fait passer un message similaire dans un discours qu’il a prononcé en avril après l’adoption de sa réforme des retraites. « Nous sommes un peuple qui entend maîtriser et choisir son destin, a-t-il proclamé en termes grandiloquents. Mais l’indépendance ne se décrète pas. Elle se construit par l’ambition, par l’effort. […] et elle se finance collectivement par le travail. » Tel est le message qu’il adresse aux laissés-pour-compte de l’emploi.

Contributeur

Marlon Ettinger est l’auteur de Zemmour & Gaullisme.

Source : Jacobin, Marlon Ettinger, 07-10-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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