CETA: les 7 vérités

l’Opinion ; 

Beaucoup de fausses informations ont circulé sur l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada

CETA: les 7 vérités

Entré en vigueur en septembre, l’accord de libre échange entre l’Union européenne et le Canada (CETA/AECG) a donné lieu à certaines inquiétudes. L’honorable Pierre Pettigrew, envoyé spécial du gouvernement canadien pour le CETA, exprime ses 7 vérités.

1#Le CETA, porte d’entrée du bœuf aux hormones canadien ? A coup sûr non pour la simple raison que les normes sanitaires européennes restent applicables à tous les produits canadiens. Cela inclut l’interdiction des hormones de croissance et toutes les réglementations sur les OGM.

2#Le CETA, une arme contre l’élevage français ? Le bœuf charolais pas davantage que les autres races ne sont menacés : les quotas d’importations sont limités à 65.000 tonnes par an, dont 45.000 dans le cadre du nouveau contingent offert par le CETA, soit 0,6% de la consommation européenne. A l’échelle européenne, cela représente environ 2 grammes de bœuf canadien par habitant et par semaine, soit moins que le poids d’un pièce d’un centime d’euro.

3#Le CETA, une menace pour l’environnement ? De fait, le CETA a été négocié avant la signature des accords de Paris sur le climat. Mais le Canada s’est engagé à reconnaître et à tenir tous les objectifs de la COP21 ; mieux, certaines normes sont tirées vers le haut, entre autres dans les chapitres sur l’environnement et le développement durable qui établissent une coopération permanente entre l’UE et le Canada.

4#Le CETA, promoteur d’une justice privée ? Non. L’accord crée un tribunal constitué de juges nommés et payés par les Etats, avec possibilité d’appel. Cette instance pourra accorder des dédommagements si une décision publique est considérée comme contraire aux obligations de l’accord, mais en aucun cas invalider une législation. Les multinationales ne vont donc pas imposer leur loi. Avec le CETA, il n’y aura aucun arbitrage privé, contrairement d’ailleurs à la centaine de traités bilatéraux déjà signés par la France, notamment avec la Chine et la Russie.

5#Le CETA, un accord perdant pour la France ? Gagnant, sans aucun doute. La France exporte déjà beaucoup vers le Canada. Et le solde est excédentaire. Avec le CETA, 98% des produits français entreront au Canada sans aucun droit de douane. Ce sera avantageux pour plusieurs secteurs français d’importance comme les produits agricoles transformés, les vins et spiritueux, les cosmétiques, l’industrie pharmaceutique, le textile et habillement.

6#Le CETA, cheval de Troie des multinationales américaines ? Si un produit américain ne fait que transiter par un port canadien, il restera un produit américain, et sera taxé comme tel.

7#Le CETA, au bénéfice de qui ? De la croissance et de l’emploi de toutes les économies signataires. Et surtout des PME, notamment française, qui pourront obtenir une certification reconnue au Canada. Jusqu’alors, seules les grandes entreprises avaient les moyens d’y envoyer du personnel pour obtenir une certification pour leur produit. En outre, les marchés publics canadiens seront désormais ouverts. Les économistes estiment que cet accord permettra d’augmenter de 20% les échanges de l’UE avec le Canada.

En collaboration avec Desjardins.

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« La France est saturée de centres commerciaux »

11 juin 2016 / Entretien avec Martine Donnette

Les projets de centre commerciaux géants se multiplient en France. Ils profitent d’une législation très favorable grâce au lobbying des grands acteurs et dans une logique de plus en plus immobilière. Partout sur le territoire, des associations se mobilisent, samedi 11 juin, au mot d’ordre « Des terres, pas d’hyper ! ».

Martine Donnette observe depuis vingt ans la multiplication des projets de centres commerciaux. Commerçante expulsée d’une galerie marchande pour manque de rentabilité dans les années 1980, elle a créé avec son mari l’association En toute franchise. Depuis, elle enquête sur les pratiques des hypermarchés, et défend les petits commerçants. Elle a par ailleurs écrit, en collaboration avec Colette Auger, Seule face aux géants, Max Milo éditions, 2015.

Martine Donnette.

À Reporterre, nous avons suivi la multiplication de ces projets et des luttes qui les contestent, notamment celles mobilisées ce samedi 11 juin. Nous avons décidé de faire le point en les regroupant sur une carte, que nous actualiserons.



Reporterre — Où en est le développement des centres commerciaux en France ?

Martine Donnette — C’est plus de deux millions de mètres carrés par an qui sont autorisés chaque année. À peine un projet est-il terminé qu’on accorde l’autorisation à d’autres à quelques kilomètres de distance. L’année dernière, on comptait au total 66 millions de m² de centres commerciaux. Et encore, c’est sans compter les surfaces de moins de 1.000 m², car les statistiques pour ces petites surfaces ne sont plus mises à jour depuis 2008. Les projets sont de plus en plus pharaoniques, ces centres deviennent aussi ludiques. On y va pour passer sa vie, on y entre à 9 h et on en sort à 21 h. Ce ne sont plus des centres commerciaux pour s’approvisionner, c’est de l’industrie touristique et les gens peuvent venir de loin.

Par exemple, à Nice, le projet du tramway va relier le port, où accostent les bateaux de croisière, et l’aéroport, avec le nouveau centre commercial. La ligne sera directe et les touristes n’iront plus en centre-ville. C’est exactement le même problème à Marseille, où les gens descendent directement des bateaux de croisière pour aller au centre commercial les Terrasses du Port.


Pourquoi y a-t-il plus de centres commerciaux en France qu’ailleurs ?

C’est vrai que nous sommes les champions d’Europe du nombre de mètres carrés commerciaux. C’est que la réglementation est particulièrement favorable. La loi Royer de 1973 avait mis des critères qui contenaient le développement de la grande distribution. Les projets devaient respecter le code de l’urbanisme, et les promoteurs devaient présenter une attestation certifiant que le projet respectait bien le plan local d’urbanisme et d’autres règlements. S’ils ne les respectaient pas, un projet pouvait être refusé. Mais, depuis 1996, ce certificat d’urbanisme n’est plus nécessaire. On peut déposer des projets en zones inondables.

La loi Royer avait aussi instauré des schémas de développement commerciaux avec une densité de mètres carrés en fonction du nombre d’habitants, pour préserver un équilibre entre centre-ville et périphérie. Mais avec la loi de modernisation de l’économie de 2008, Nicolas Sarkozy a fait sauter ce critère. Il a aussi supprimé l’obligation de comparer le nombre d’emplois créés par le centre commercial à ceux détruits en centre-ville. Ou encore retiré la représentation des commerçants dans les commissions d’autorisation de centres commerciaux. Désormais, dans ces commissions, il n’y a plus que des politiques, et on voit le résultat !

De plus, depuis 2014, les associations environnementales ne sont plus considérées comme des personnes ayant intérêt à agir contre les autorisations de centres commerciaux. Elles ne peuvent plus lancer des procédures de recours.

Et enfin, c’est tout nouveau, en mars 2016, le contrôle des surfaces commerciales illicites a été supprimé. Donc si un promoteur construit plus que ce à quoi il a droit, personne ne contrôlera. On se demande pourquoi ils demandent encore des autorisations !


Comment expliquer que cette législation puisse être aussi favorable ?

Les lobbies. C’est la pression des promoteurs qui veulent couler du béton : Bouygues et Vinci sont sur tous les grands projets. Avant, il y avait un prix au mètre carré, l’élu signait, et l’argent allait au parti. Mais depuis la loi anticorruption de Beregovoy, en 1993, on ne peut plus monnayer la signature des élus. Comme on ne pouvait plus contourner la loi, les lobbys ont fait pression pour la modifier. Par exemple, la loi de modernisation de l’économie, on la surnomme la « loi Leclerc » !

Le centre commercial des 3 Fontaines, dans le Val-d’Oise.


Mais la consommation stagne, alors pourquoi continuer à construire, comment gagnent-ils de l’argent ?

Les centres commerciaux sont amortis en cinq, sept ans. Déjà, quand vous achetez quelque chose à 20 euros dans un hypermarché, eux l’auront acheté 3 euros. Ensuite, les centres commerciaux sont détenus par les filiales immobilières d’Auchan, Leclerc, Carrefour, Intermarché, etc. Ce sont eux qui récupèrent les loyers payés par les commerçants dans les galeries marchandes.
Enfin, pour eux le but est de posséder de l’immobilier. Quand on vend de la marchandise, il n’y a pas de garantie, on n’est pas certain qu’elle sera vendue. C’est pour cela que la grande distribution est devenue immobilière, parce que c’est matériel, c’est une garantie de revenu pour les actionnaires. On est dans un système où ils ne parlent que de patrimoine immobilier, de la part que ce patrimoine représente en parts de marché de centres commerciaux. Plus ils en ont, plus ils ont de garanties, et plus ils peuvent obtenir des capitaux pour continuer d’investir.


Cela ressemble à une course infernale, comment peut-on l’interrompre ?

Aujourd’hui, on en est au stade de l’inondation, le territoire est saturé de centres commerciaux. Désormais, à chaque fois que l’un des principaux acteurs dépose un projet, les autres attaquent en justice pour le contester. Car, quand un concurrent arrive, c’est 30 % de baisse de chiffre d’affaires. Ils se battent entre eux. Mais le problème est que, quand il n’y a plus que des gros qui se battent, il ne reste plus de petits. La seule solution, c’est d’unir nos luttes, et notamment de se battre pour que les associations environnementales récupèrent les droits de recours.

  • Propos recueillis par Marie Astier

Les acteurs de l’éolien font leur liste de Noël

Les acteurs de l’éolien ont terminé leurs réflexions sur les mesures de simplification à envisager. Tout est entre les mains du gouvernement. L’arbitrage est attendu pour mi-janvier.
 01 décembre 2017 Florence Roussel
Les acteurs de l’éolien font leur liste de Noël
Le groupe de travail sur l’éolien lancé en octobre a terminé ses réflexions. Lors d’une réunion jeudi 30 novembre, ses membres ont présenté au gouvernement une liste de mesures. L’arbitrage est attendu pour mi-janvier 2018. Cinq thématiques étaient à l’ordre du jour : la simplification des procédures, la protection des paysages, l’éolien en mer, la fiscalité et le repowering. Parmi les mesures sur la table, plusieurs font déjà consensus et pourraient être retenues par le ministère. D’autres, portées par les acteurs de l’éolien, sont encore à défendre.
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La fiscalité et le repowering en bonne voie

Le sujet de la fiscalité est l’un des plus consensuels. L’éolien, comme toute activité économique implantée sur un territoire, génère des recettes fiscales au niveau local : taxes foncières, contribution économique territoriale (CET) et imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER). A l’heure actuelle, l’IFER est transmise aux établissements publics intercommunaux (EPCI), sans obligation de fléchage vers les communes d’implantation. Selon une étude d’Amorce et de l’Ademe, une éolienne de 2 MW rapporte annuellement près de 20.000 euros aux collectivités territoriales. Au niveau national, c’est plus de 100 millions d’euros qui sont versés aux territoires. Aujourd’hui, un consensus assez général se dégage pour octroyer une part de l’IFER à ces communes d’implantation. Mais des questions restent à lever sur la mise en oeuvre. Faut-il augmenter l’IFER ? Le Syndicat des énergies renouvelables (SER) en est convaincu « A iso-enveloppe, ce fléchage est possible », estime Marion Lettry, déléguée générale adjointe du SER.
Autre sujet qui pourrait avancer rapidement : celui du renouvellement des parcs arrivés en fin de contrat d’achat, avec la mise en place d’une procédure simplifiée pour les prolonger. La procédure du cas par cas plutôt qu’une étude d’impact systématique pourrait être envisagée, avait esquissé Sébastien Lecornu le 20 octobre lors de la première réunion du groupe de travail. « Reste toutefois à définir les seuils », précise Marion Lettry du SER qui demande également « qu’un dispositif économique incitatif pour le renouvellement partiel des parcs éoliens terrestres soit mis en place, afin de permettre une prolongation significative de la durée de vie de ces installations ».

Simplification et souplesse pour les procédures

Concernant le cadre réglementaire, il est question de supprimer un niveau de juridiction afin de raccourcir les délais d’instruction des recours. L’allongement de la durée de réalisation des projets éoliens (6 à 7 ans) s’explique par un traitement de ces recours extrêmement long : deux ans pour obtenir un jugement du Tribunal administratif, un délai un peu moindre pour un arrêt de la Cour administrative d’appel (CAA). L’idée serait de confier une compétence directe aux CAA pour le traitement des contentieux éoliens, comme c’est déjà le cas pour l’éolien offshore.
En matière de raccordement, une série de mesures sont à l’étude par la DGEC pour raccourcir les délais. Le SER demande plus particulièrement une plus grande souplesse sur la révision des schémas régionaux de raccordement (S3REnR) et un rééquilibrage du périmètre des ouvrages entre producteurs et gestionnaires de réseaux..
Pour l’éolien offshore, la discussion est toujours en cours pour dessiner les contours d’une réforme en matière de débat public et des procédures regroupées (permis enveloppe). Dans le cadre du projet de loi pour un Etat au service d’une société de confiance, le gouvernement aura 18 mois pour prendre des ordonnances en la matière. Les mesures actées suite au groupe de travail sur l’éolien seront traduites dans ces ordonnances.
Florence Roussel. Journaliste : Rédactrice en Chef
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Les paysages de l’éolien : on ne peut plus faire sans les citoyens

1er décembre 2017 / Grégoire Souchay (Reporterre)

   

L’impact paysager des éoliennes et l’industrialisation des campagnes qu’elles représentent soulèvent de nombreuses oppositions. La querelle pose une question politique : l’éolien peut-il être autre chose que la poursuite du monde industriel, fondé sur la croissance, la consommation et la marchandisation du bien commun ?

« C’est quand même particulièrement cruel de détruire l’environnement au nom de l’écologie, vous ne croyez pas ? » Michel Broncard, vice-président de la Fédération environnement durable, ne mâche pas ses mots. « Dans toute cette affaire, il n’y a que le vent qui soit propre », lance-t-il. Bien loin des couloirs feutrés du colloque éolien, ils sont plus d’une centaine réunis ce 7 octobre dans le centre-ville de Carcassonne pour une manifestation « contre l’éolien industriel ». Cheveux blancs, pancartes de fortune, mégaphone pour dénoncer la « démocrature », les « soldes du patrimoine »et dire non à l’obstination et aux éoliennes. Cas emblématique de la lutte anti-éolienne dans l’Aude, la situation dans la commune de Bouriège. Comme pour chaque projet faisant l’objet d’une contestation, il faudrait des volumes pour décrire les innombrables épisodes de cette mobilisation, qui dure depuis 2004. Particularités de ce projet : la destruction partielle, en 2013, d’un site archéologique connu, mais jamais fouillé, à Saint-Pierre-le-Clair.

Manifestation à Carcassonne, le 6 octobre 2017.

Malgré un avis défavorable du commissaire enquêteur et de la commission du patrimoine, le préfet a donné son autorisation. Depuis, les recours se sont succédés, leurs rejets aussi, comme dans la majorité des projets éoliens. Mais le retard a fait abandonner plusieurs développeurs : « On en est à la quatrième société », indique Agnès, du collectif du Pont du Rec. La dernière en date, Valeco, a tenté un passage en force en janvier 2017. Mais, pour accéder au lieu d’implantation des éoliennes, il faut emprunter des chemins d’accès étroits situés en partie sur des propriétés privées, dont les habitants ne s’en laissent pas compter. Ainsi est née la première Zad anti-éolien industriel. La tension est montée au fil des semaines jusqu’à aboutir à une confrontation physique entre les opposant-e-s et l’entreprise de transport du matériel, finalement autorisée à passer par la préfecture.

« Le stade ultime du contrôle de l’industrie sur la nature sauvage »

« Ils font la loi et prennent le pouvoir sur la ruralité », soupire Agnès. Bouriège est un cas exceptionnel, mais révélateur de la façon dont se vivent souvent les installations d’éoliennes sur le terrain. À chaque manifestation ou rassemblement similaire, on retrouve les mêmes questions, la même indignation, avec désormais une politisation plus importante. En Lozère, on refuse désormais globalement l’éolien, après avoir vu les effets produits dans le département voisin de l’Aveyron : « Les promoteurs ont toujours réponse à tout, toujours raison, mais nous sommes certain que, si nous les laissons s’implanter, cela va finir ici comme en Aveyron, avec des éoliennes partout, il n’y a pas de frein », se désole Michel Cogoluègnes, de l’association Les Robins de la Margeride, qui constate « les divisions, les haines entre habitants et la disparition de solidarités »dans les villages où l’éolien s’est implanté.

Aujourd’hui, il ne s’agit donc plus seulement de lutter contre « la destruction de nos paysages » et la « baisse de la valeur foncière de résidences secondaires » ou les craintes sur l’activité touristique. Il est plus généralement question « d’abandon des citoyens », contre « le mépris et l’obstination ». Et, à chaque fois, on retrouve mêlées les revendications du « pas chez moi » avec des critiques plus globales du système énergétique et politique, et de plus en plus fréquemment de la part des militants ou ex-militants écologistes. Ainsi Monique, croisée à la manifestation de Carcassonne : « Je faisais du solaire dès les années 1980 » ; mais elle s’indigne de la tournure que prend l’éolien. « On nous vend les éoliennes comme on nous a vendu le nucléaire il y a cinquante ans. » Pour elle, c’est « le stade ultime du contrôle de l’industrie sur la nature sauvage ».

 Un nouveau « paysage » pour l’énergie

La critique « paysagère », souvent évacuée parce qu’elle serait « subjective », a son importance. Mais c’est indéniable, les éoliennes se voient, et de loin. Entre un mât qui culmine à 120 mètres de haut et le clocher de l’église de 12 mètres en surplomb du moindre village, la rupture d’échelle n’a jamais été aussi grande. Est-ce vraiment si laid ? Il pourrait y avoir une forme de beauté dans la machine, l’alignement des parcs, en respect strict des courbes de niveau, cet écartement régulier, mathématique, entre deux mâts. Dans l’Aude, les rapports sur l’impact paysager préconisent désormais de créer des « espaces de respiration » entre les différents parcs déjà installés pour éviter l’effet d’encerclement.

Mise en perspective des éoliennes et du clocher du village d’Avignonet-Lauragais (Haute-Garonne).
Mise en perspective des éoliennes et du clocher du village d’Avignonet-Lauragais (Haute-Garonne).

Pour les développeurs, la critique n’est que peu audible. Ils ont l’impression de faire honnêtement leur travail, de compenser avec toutes les contraintes (environnementale, militaire, patrimoniale, géographique…) pour ne s’implanter que dans de petits espaces où ils tâchent de réduire les impacts au minimum.

Plan de gestion des paysages audois.

Mais, si l’on s’en tient à cela, on reste encore et toujours sur une optique technicienne du paysage et de l’implantation des turbines éoliennes. Alain Nadaï, sociologue au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired), explique la particularité de la France dans son rapport au paysage : « On a une tradition du paysage très visuelle. On considère que ce qu’il y a à protéger dans un paysage, c’est le patrimoine, ce qui est classé. » Alors que dans d’autres pays, comme dans le nord de l’Allemagne, « on pense le paysage comme le lieu de la gestion par l’assemblée des habitants d’un territoire ». C’est justement dans ces régions qu’est né l’éolien industriel, dans des conditions bien différentes. En France, difficile d’intégrer la notion de « paysage du quotidien », toutes « ces manières de s’approprier un environnement, sa perception et la valeur que chacun y met ainsi que les liens sociaux qui s’y nouent ». Balade en famille, point de repère pour se situer dans le monde, moyen de construire des solidarités à l’échelle d’un versant, d’une vallée…

Manifestation Rodez, 21 janvier 2017.

Implanter une éolienne au milieu d’un territoire n’est en cela jamais neutre. « Toute technologie n’est pas un pur artefact technique, elle compose un monde, elle incorpore des options politiques, en requalifiant la connaissance du milieu », souligne le chercheur. On n’a ainsi jamais aussi bien connu l’espace marin que depuis qu’on y fait des études précises en vue de l’implantation de l’éolien off-shore« L’éolien français a été jusqu’ici un éolien privé, de développeurs individuels, qui a du mal à prendre en compte les ressources partagées . »

Il n’y aura pas d’éoliennes partout

Pour le pouvoir politique, cette approche est difficile à saisir. Pour l’heure, on en reste à des objectifs de politique publique, des paliers chiffrés, depuis les lois Grenelle 1 et 2 et la loi de transition énergétique : diminution de 30 % de la consommation d’énergie d’ici à 2030, division par 4 des émissions de gaz à effet de serre et augmentation de la part des renouvelables à 40 % de la production d’électricité à la même échéance. Ces objectifs seront réévalués avec la programmation pluriannuelle de l’énergie qui sera discutée début 2018. L’éolien représente à ce titre l’une des sources principales du nouveau « mix » énergétique.

Les choses évoluent. Si la volonté affichée est de réduire les freins administratifs et de simplifier les procédures de recours, le pouvoir a ouvert avec les lois sur l’économie sociale et solidaire de nouvelles possibilités de participation citoyenne aux projets éoliens. Un fonds de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) serait également à l’étude pour permettre aux collectivités de piloter des projets jusqu’ici entièrement privés. Au ministère, on préfère attendre les résultats des discussions en cours et les premiers éléments de la programmation pluriannuelle de l’énergie pour communiquer sur le sujet.

Sur le terrain, les maigres tentatives de déconcentrer la politique énergétique ont abouti à l’annulation par la justice de quatorze schémas régionaux éoliens, le dernier en date en Languedoc-Roussillon pour « défaut d’évaluation environnementale ». Une décision « qui ne change rien », pour Agnès Langevine, vice-présidente EELV de la région Occitanie, notamment chargée des questions environnementales.

Inauguration de la base de maintenance éolienne de Soubès (Hérault), le 23 novembre 2017. À droite, Agnès Langevine (EELV), chargée de l’environnement de la région Occitanie, aux côtés de Sébastien Steimer, directeur d’Enercon Service France.

Rencontrée à l’occasion de l’inauguration d’une base de maintenance d’Enercon dans l’Hérault, elle affirme l’objectif de devenir la première région d’Europe à énergie positive (soit produire plus d’énergie que la région n’en consomme). L’annulation du schéma régional éolien des anciennes régions n’est pour elle que le résultat d’une « mauvaise interprétation » d’une circulaire de l’État qui pouvait laisser croire que l’évaluation environnementale était facultative. Elle vise plutôt les nouveaux Sraddet (schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires), qui incluront cette fois les analyses environnementales ; et surtout « la région va être pionnière en mettant en place une Agence régionale énergie/climat, qui s’occupera en même temps des énergies renouvelables et de la sobriété énergétique ». On sait aussi qu’il n’y aura pas d’éoliennes partout. De par la contrainte physique de la ressource, des impacts sur le patrimoine, les zones protégées, etc., tout le territoire ne sera pas concerné par la question.

L’implication complète des citoyens dans la décision et les choix communs

Mais si ces ouvertures laissent présager la possibilité du développement moins brutal de l’énergie, elles n’abordent pas la question politique de fond : pourquoi a-t-on besoin de produire cette énergie ? Pour quel développement ou hypothétique « croissance verte » ? Que signifie utiliser la ressource du vent, faire une marchandise de ce qui est un bien commun ? Quel est le sens de créer une continuité d’urbanisme industriel entre les villes de plus en plus peuplées et les campagnes, qui selon les opposant-e-s « deviennent des zones industrielles » de l’électricité ? On ne peut plus écarter d’un revers de la main l’analyse de ceux et celles qui estiment qu’il y aurait là une « colonisation économique d’un territoire » avec des campagnes qui deviennent « des zones industrielles de production d’énergie pour les métropoles ». La critique est celle de l’éolien « et de son monde », et cette forme de production d’électricité, si elle permet en partie de répondre aux défis climatiques et énergétiques, n’est pas nécessairement plus enviable que celui des bétonneurs de tout poil sur le plan social et politique.

Dans son ouvrage Les Illusions renouvelables (éditions l’Échappée), l’auteur libertaire José Ardillo met bien en évidence cet impensé de l’aspect politique de l’énergie, absent de la pensée capitaliste contemporaine mais aussi des marxismes et même des anarchismes du XIXe siècle qui rêvaient déjà de société idéale et d’abondance énergétique avec la « force du vent ». L’auteur constate que, loin de répondre à une nécessité sociale, la transition énergétique deviendrait un « désir banal de reconvertir une plus grande partie de la production énergétique en technologies plus propres et plus efficaces, sans poser la question la plus importante : où nous mène le maintien de certains besoins ? (…) Avons-nous encore la possibilité de choisir comment nous voulons vivre et d’évaluer comment nous pouvons vivre ? »

Les éoliennes ne sont en cela pas plus ou moins vertueuses que les autres énergies. Les promoteurs de l’éolien sont pas animés de sentiments malsains ou machiavéliques, simplement ils ne font que leur travail d‘entreprise : construire une rentabilité économique en exploitant une ressource. En cela, ils s’insèrent dans un système économique et une répartition inégalitaire du pouvoir et s’y plient. Autant l’admettre ouvertement et poser désormais le débat sur un plan politique. En arrêtant de considérer les citoyennes et citoyens comme incapables de prendre conscience des enjeux fondamentaux de l’épuisement des ressources, de l’effondrement des écosystèmes et des changements climatiques.

Certes, l’opposition ne s’exprime pas toujours avec les arguments exacts ou la bonne connaissance technique du secteur, mais elle n’en reste pas moins valable. On ne peut pas mener une politique énergétique avec des ingénieurs et des experts, qui auront de toute façon toujours une supériorité intellectuelle de fait par leur connaissance approfondie du champ d’action. Désormais, les impératifs globaux impliquent l’implication complète des citoyens dans la décision et les choix communs, et pas seulement par les mécanismes traditionnels de démocratie représentative et délégataire. Ce n’est qu’à cette condition fondamentale que l’on évitera de reproduire les mêmes mécaniques qui ont conduit à l’impasse du nucléaire et des fossiles et qui rend si difficile aujourd’hui leur sortie. Pour la politique éolienne comme pour le reste, il est temps que le vent tourne.