Philippe Greffier : « Nous avons toutes les cartes en main »

Vœux. La cérémonie des vœux à la CdC s’est tenue à Villeneuve-La-Comptal.

C’est au son des percussions brésiliennes d’une batucada que la traditionnelle cérémonie des vœux de la communauté de communes Castelnaudary Lauragais Audois (CCCLA) s’est ouverte, mercredi soir, dans la salle des fêtes de Villeneuve-la-Comptal. Une surprise concoctée par l’école de musique intercommunale dirigée par Albert Todo, et une façon de rappeler que l’élargissement des enseignements musicaux à tous les élèves de toutes les écoles du territoire figura, en son temps, parmi les premières actions de la communauté.

énergie positive

Autre symbole, le choix du lieu pour cette cérémonie : Villeneuve-la-Comptal, un signe amical adressé à la nouvelle équipe municipale en place depuis les élections de juin dernier. Le maire Hervé Antoine, en introduction, s’est défini lui-même comme « un militant de la cause intercommunale », soulignant l’importance d’un collectif communautaire dynamique pour les 43 communes du territoire (26 000 habitants), dont la sienne, où l’arrivée de la fibre optique, notamment, est très attendue, à la fois par la population et par les entreprises.

Le président Philippe Greffier, salua à son tour la solidarité, l’implication, le dynamisme et l’esprit communautaire qui animent l’ensemble des membres et agents de la CCCLA « dans une même énergie positive », avant de revenir sur une année 2018 particulièrement chargée, et les enjeux d’importance pour les années à venir.

Des secteurs clés

Tourisme. L’aménagement du grand bassin et du port est achevé, 10 000 plaisanciers ont fréquenté l’office fluvial.

Économie. La construction de la Socamil, plate-forme logistique du mouvement Leclerc, est largement engagée au Parc régional d’activités Nicolas-Appert, en bordure d’autoroute. 40 recrutements sont en cours dans le bassin chaurien, qui viennent s’ajouter aux autres emplois créés durant le chantier et pour l’exploitation ; 150 M€ ont été investis, on attend 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel. Des conséquences considérables pour l’’emploi et la dynamique économique.

Le label « Territoire d’industrie », attribué par le ministère del’Industrie fin 2018, permettra de disposer de moyens financiers nouveaux pour les chefs d’entreprise et la collectivité, dans la formation et l’innovation, notamment.

Eau et assainissement. Gros dossier de l’année 2018, les compétences de la communauté ont été mises en œuvre.

Solidarité. Les actions en direction des plus fragiles menées par le CIAS seront poursuivies en 2019 : service à domicile, transport à la demande, Pass’Santé, « Ma commune, ma mutuelle ».

Les actions pour un service public de qualité et de proximité seront renforcées, et les échanges avec les communes et les usagers approfondis.

Fibre optique. Son arrivée dans les communes sera complétée à moyen terme par le déploiement de la LTE 4G, pour une couverture complète du territoire communal pour l’accès à internet en haut débit.

Environnement. Labellisé « Territoire à énergie positive pour la croissance verte », Castelnaudary Lauragais Audois poursuivra ses actions de développement des énergies renouvelables, de protection de l’environnement, et d’aide à la commercialisation des productions locales.

« Notre territoire est riche de sa diversité, riche en talents, en initiatives, en savoir-faire, nous avons toutes les cartes en main pour poursuivre cette belle dynamique et la mettre au service de l’ensemble de ses habitants », assure Philippe greffier.

Pascal CHARRAS

Halte à la privatisation d’Aéroport de Paris !

Le projet de loi PACTE, que le Sénat examine fin janvier 2019, prévoit de vendre pour les 70 prochaines années plus de la moitié du capital de la société ADP à des « investisseurs » privés. Cette privatisation méconnaît le Préambule de la Constitution de 1946, qui oblige les collectivités publiques à détenir un service public national ou un monopole de fait.
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Le 4 décembre 2014, alors ministre de l’Economie, Emmanuel Macron a bradé avec son collègue (socialiste) ministre des Finances pour 308 millions d’euros 49,9% des parts de l’Etat dans la société de gestion de l’aéroport de Toulouse-Blagnac à une entreprise chinoise, sans expérience dans la gestion des aéroports, domiciliée dans les îles Vierges britanniques et ayant une filiale dans les îles Caïmans, majoritairement contrôlée par l’Etat chinois, et a confié à cet actionnaire privé l’entier contrôle de la société aéroportuaire toulousaine (v. Cour des comptes, Le processus de privatisation des aéroports de Toulouse, Lyon et Nice, octobre 2018, p. 39 à 52 : « l’échec de la privatisation de l’aéroport de Toulouse » ; « l’acquéreur retenu a suscité des inquiétudes, en raison de son absence d’expérience en matière de gestion aéroportuaire, de son manque de transparence financière et de ses liens avec la puissance publique chinoise »).

Le ministre de l’Economie d’alors avait assuré devant les députés que « il n’y a aucun doute sur le fait qu’il s’agit d’une bonne opération sur le plan financier. (…) Quand on a une telle rentabilité et un tel retour, on peut dire que c’est une bonne opération patrimoniale sur le long terme. C’est aussi une bonne opération industrielle sur le long terme, parce que l’État est un mauvais actionnaire et il est inutile. C’est un actionnaire inutile parce que pour contrôler et réguler, on n’a pas besoin d’être dans le capital » (Assemblée nationale, 19 janvier 2015, rapport n° 2498, tome I, vol. 2, p. 339-340) ; mais devenu président de la République, Emmanuel Macron a cru pouvoir alerter le 29 octobre 2018 contre les effets autres que financiers de sa propre action ministérielle : « l’Europe est face à un (nota : deux, en fait…) risque : celui de se démembrer par la lèpre nationaliste et d’être bousculée par des puissances extérieures. Et donc de perdre sa souveraineté. C’est-à-dire d’avoir sa sécurité qui dépende des choix américains et de ses changements, d’avoir une Chine de plus en plus présente sur les infrastructures essentielles ». Les technocrates de l’ENA d’hier et d’aujourd’hui sont à l’origine de la perte d’influence de la France qu’ils ont beau jeu de déplorer par ailleurs (v., sur un autre sujet : Tariq Krim, « Comment la France s’est vendue aux GAFAM », lepoint.fr, 5 janvier 2019 : « Dans les années 90, c’est au tour du Premier ministre de l’époque Alain Juppé d’expliquer, au journal de 20 heures, sa décision de vendre à la casse Thomson Multimédia au coréen Daewoo : ‘Thomson, ça ne vaut rien, juste un franc symbolique‘. Le gouvernement obsédé exclusivement par le volet social de l’entreprise ignore que Thomson multimédia dispose d’une grande partie des brevets sur la musique (le fameux MP3) et la vidéo en ligne qui seront utilisés quelques années plus tard dans tous les smartphones. Sa branche grand public sera démantelée et vendue au chinois TCL et ses meilleurs ingénieurs partiront chez Google »).

Le précédent toulousain, qui pouvait être évité en déclarant infructueuse l’opération de vente de l’aéroport de Toulouse à l’Etat chinois, aurait dû disqualifier Emmanuel Macron pour persévérer dans la voie – que même les Etats-Unis n’ont jamais empruntée – du désengagement des collectivités publiques dans la détention du capital et du contrôle des sociétés aéroportuaires, sauf à considérer qu’il organise méticuleusement le sabotage des intérêts de la puissance publique française au profit d’intérêts purement privés ou étrangers.

Mais la priorité était de réaliser « une bonne opération sur le plan financier ». Or, un aéroport régional est un bien commun qui n’a pas ou en tout cas ne devrait pas avoir de valeur numéraire – à l’instar des gares, des ports, des autoroutes, des monuments et sites historiques. Aussi élevé soit-il, le montant auquel la société aéroportuaire qui le gère est vendue à des actionnaires privés ne pourra jamais compenser les coûts sociétaux et philosophiques du désengagement de l’Etat, qui sous couvert de rustines (agrément par l’Etat des dirigeants des sociétés concessionnaires, accord préalable de l’Etat avant un changement d’actionnaires de la société concessionnaire) perd en pratique l’entier contrôle de la société concessionnaire (nomination et révocation des dirigeants, influence sur la gestion de la société et donc sur la qualité du service public aéronautique, absence de suivi des engagements pris au moment de la privatisation, contrôle des informations permettant de s’assurer de la qualité du service et du respect des obligations légales, par exemple en matière de sécurité aérienne, mise en place d’une politique environnementale ad hoc), ainsi que l’a souligné la Cour des comptes : « bien qu’elles contribuent à clarifier le positionnement d’un État recentré sur ses fonctions de concessionnaire et de régulateur, les privatisations risquent toutefois de mettre à l’épreuve l’efficacité de ses moyens de contrôle » (p. 99).

Au surplus, l’Etat a ou en tout cas devrait avoir d’autres intérêts que ceux de nature purement financière… Les pouvoirs publics, en vendant les entreprises détenues par l’Etat au profit direct ou indirect des mêmes grands intérêts privés dans le seul but se procurer des liquidités, méconnaissent l’avertissement de la Cour des comptes qui, relevant que l’objectif financier était « toujours prépondérant » (p. 29) dans le processus des privatisations, a justement appelé à l’élaboration préalable d’une doctrine que la puissance publique entend se donner comme actionnaire : « l’État ne peut faire l’économie d’une définition précise des intérêts qu’il entend préserver et d’une stratégie globale, face à certains investisseurs étatiques étrangers dont la politique d’acquisition pourrait être sous-tendue par une véritable vision de long terme. La définition d’un tel cadre par les instances récemment créées en matière de défense économique devrait être un préalable nécessaire à toute nouvelle cession d’actifs stratégiques » (p. 100). A ce jour, ce cadre n’a pas été (officiellement) défini.

Toutefois, déjà décidé à « maintenir le cap » quoi qu’il en coûte à la Nation tout entière, le ministre Macron avait récidivé par l’article 191 de la loi portant son nom du 6 août 2015, autorisant la privatisation des sociétés détentrices des aéroports de Nice Côte d’Azur et de Lyon, à des conditions plus rigoureuses que celles qui avaient permis la catastrophe stratégique toulousaine. Il n’est pas inutile de rappeler : d’une part, que cette loi a donc été adoptée par la majorité parlementaire socialiste de l’époque (après une double mise en œuvre de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution les 19 février et 18 juin 2015), laquelle campe aujourd’hui la posture de l’opposition décidée à la privatisation d’Aéroports de Paris (et de la Française des Jeux et d’Engie), qualifiée en séance publique à l’Assemblée nationale le 3 octobre 2018 par le député Boris Vallaud, pourtant camarade de promotion d’Emmanuel Macron à l’ENA et son successeur au secrétariat général adjoint de l’Elysée auprès de François Hollande au moment où la « loi Macron » était promulguée, « d’aberration économique et d’erreur stratégique » ; d’autre part, que le 20 février 2015, le porte-parole du gouvernement d’alors, Stéphane Le Foll, avait osé assurer, en plein débats parlementaires sur la « loi Macron » et après qu’une consultation locale organisée par le maire de Nice s’était massivement prononcée contre la privatisation de l’aéroport situé dans la ville  : il n’y a « pas de privatisation » de cet aéroport qui est envisagée !

Ce n’était pas assez.

Il fallait absolument aller jusqu’au bout de cette folie ultra-libérale en matière aéroportuaire, à laquelle seule la société Aéroport de Paris a jusqu’à présent partiellement échappé, alors même que la Cour des comptes a relevé dans son rapport précité que la privatisation des aéroports de Toulouse, Nice et Lyon n’a eu aucune valeur ajoutée (« À ce jour, l’arrivée d’actionnaires privés ne s’est pas accompagnée d’inflexions majeures en matière de gestion et d’orientations stratégiques des aéroports concernés », p. 98 et 99), ce qui dément les affirmations péremptoires précitées du ministre Emmanuel Macron : non, on ne peut pas dire que par principe et en toutes circonstances, « l’État est un mauvais actionnaire » ; mais oui, il arrive que ponctuellement l’Etat soit mauvais actionnaire, et à cet égard, sans même qu’il soit besoin d’évoquer le cas d’Alstom, la cession par le ministre Macron du capital de trois sociétés aéroportuaires est une illustration de cette médiocrité gestionnaire.

Le président de la République Emmanuel Macron s’est chargé d’achever ce qu’il avait contribué à détricoter sous le quinquennat précédent, pour le seul et unique profit des « premiers de cordée » – avec ô stupeur l’appui des députés du MoDem, alors que le dirigeant de ce parti s’était en 2006 opposé à la privatisation des autoroutes (v. ci-dessous) et en 2010 à l’ouverture des jeux de hasard en ligne.

Au temps désormais révolu où l’exécutif pouvait encore faire illusion sur la pertinence de ses volontés réformatrices, le conseil des ministres a adopté le 18 juin 2018 le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises – appelé on ne sait pourquoi par l’acronyme « PACTE » –, étant rappelé que la « loi Macron » du 6 août 2015 était déjà selon son intitulé une loi « pour la croissance ».

La section III (« faire évoluer le capital et la gouvernance des entreprises publiques et financer l’innovation de rupture ») du chapitre II (« des entreprises plus innovantes ») de ce texte au volume démesuré – 73 articles à l’origine, une étude d’impact de 722 pages, 5 rapporteurs nommés à l’Assemblée nationale, le seul tome I du rapport parlementaire étant constitué de 887 pages – a prévu la privatisation d’Aéroport de Paris (ADP – articles 44 à 50), de la Française des jeux (FDJ – article 51) et d’Engie (article 52).

De telles privatisations, votées en première lecture à l’Assemblée nationale le 9 octobre 2018 et désormais soumises à l’approbation du Sénat qui doit examiner le projet de loi PACTE en séance publique du 29 janvier au 12 février 2019, n’avaient jamais été évoquées au cours de la campagne présidentielle.

Leurs justifications témoignent de l’inquiétant court-termisme des décideurs publics, quinquennat après quinquennat, endoctrinés aux fadaises économiques néo-libérales religieusement apprises à Science Po Paris puis à l’ENA : il s’agit – officiellement – de trouver un financement pour le « fonds pour l’innovation de rupture » (sic) abondé à hauteur de 10 milliards d’euros sous l’autorité de l’établissement public BPIFrance (mais « seuls » 250 millions d’euros par an, correspondant aux intérêts au taux de 2,5% de ces 10 milliards d’euros, seront effectivement versés pour des opérations dites « d’investissement » dans des entreprises) et de « désendetter » l’Etat (en clair, limiter le recours à l’emprunt et rembourser les intérêts d’emprunt de la dette publique).

Ces justifications reprennent mot pour mot celles avancées il y a exactement quatre ans par le ministre de l’Economie Emmanuel Macron aux cours des débats à l’Assemblée nationale relatifs à l’ouverture du capital des sociétés de gestion des aéroports de Nice et de Lyon : « Nous allons libérer de l’argent (sic) qui servira, d’une part, au désendettement de la France – la loi de finances pour 2015 intègre un critère de désendettement de 4 milliards – et à la réduction de la charge que nous faisons peser sur les générations futures, et, d’autre part, à réinvestir ailleurs (mais où ?), parce qu’on ne peut pas avoir de l’ambition pour la puissance publique et considérer qu’elle se financerait de façon spontanée (sic) » (Assemblée nationale, rapport du 19 janvier 2015 préc., p. 348). Il est stupéfiant qu’un jeune dirigeant public d’à peine 37 ans ait pu en 2015 faire siennes des sottises économiques simplistes et périmées du 20ème siècle où l’Etat est perçu comme une gêne à l’égard de marchés et d’entreprises privées nécessairement agiles et efficaces qu’il est juste bon à subventionner, avec au surplus le résultat concret que chacun connaît de ces vielles lunes libérales sur la charge de la dette publique française, en passe d’atteindre 100% du PIB…

Quatre ans plus tard, rien n’a changé ; le logiciel de gouvernance est toujours en mode moonwalk – reculer en paraissant avancer ; libéraliser tout en dénonçant, via les voeux présidentiels du 31 décembre 2018, « le capitalisme ultra-libéral et financier, trop souvent guidé par le court terme et l’avidité de quelques-uns » – dommage que le président de la République n’ait pas précisé qui dans son esprit fait partie de ce groupuscule de prédateurs/destructeurs/égoïstes…

Pourtant, la nullité sinon la catastrophe pour les intérêts de l’Etat que représentent les trois privatisations projetées par la loi PACTE est manifeste lorsque l’on a à l’esprit qu’aujourd’hui, l’Etat perçoit déjà annuellement 173 millions d’euros de dividendes en provenance de la seule société ADP, dividendes auxquels il devra renoncer en cas de privatisation totale…

En décodé, avec ces privatisations, les décideurs publics d’aujourd’hui ne font en réalité que préparer leurs « parachutes dorés » de demain dans le privé, où ils iront pantoufler et faire fructifier leurs carnets d’adresses après avoir consciencieusement affaibli la puissance publique française.

Le processus de privatisation de l’aéroport de Nice a montré que l’Agence des participations de l’Etat (APE) n’avait que faire des conflits d’intérêts éventuels, tant le capitalisme de connivence est désormais profondément institutionnalisé au coeur même de l’appareil d’Etat ainsi que l’a relevé Martine Orange précisément à propos de la privatisation des aéroports français, dont celui de Nice : « (La banque) Mediobanca s’est retrouvée des deux côtés en même temps. La banque d’affaires était à la fois conseillère de l’APE, et informée à ce titre de tous les choix de l’État comme de toutes les offres concurrentes, et, en tant qu’actionnaire d’un des principaux consortiums en lice, l’un des principaux intéressés de la privatisation de Nice, un des plus grands aéroports régionaux d’Europe. (…) Figure emblématique du capitalisme italien de connivence, la banque d’affaires italienne semble avoir su parfaitement s’adapter au système français de la haute fonction publique, de cette caste qui évolue, au gré de ses intérêts, entre sphère publique et intérêts privés. (…) Ce soudain développement coïncide avec l’arrivée d’Emmanuel Moulin à la direction de la banque. Ancien directeur adjoint de cabinet de Christine Lagarde puis conseiller économique de Nicolas Sarkozy, ce haut fonctionnaire du Trésor a choisi le grand large du privé après la présidentielle de 2012. Et il a rejoint la banque d’affaires italienne. À partir de son arrivée, la banque d’affaires a vu toutes les portes de l’État s’ouvrir. (…) L’embauche d’Emmanuel Moulin se révèle un investissement porteur pour la banque d’affaires italienne. D’autant que ce dernier a regagné le ministère des finances. Il est maintenant directeur de cabinet de Bruno Le Maire. Et à ce titre, il est chargé d’engager et de contrôler toutes les privatisations annoncées par le gouvernement, à commencer par les Aéroports de Paris et la Française des jeux » (Martine Orange, « Privatisation de l’aéroport de Nice : quand l’Etat se met au-dessus des lois » Mediapart, 14 novembre 2018).

A ce sujet, le Canard enchaîné du 2 janvier 2019 (« Un sport en plein développement : le pantouflage », p. 2) note que « les promotions des principaux dirigeants des grandes entreprises » en 2018 ont, pour près de la moitié, concerné « des hauts fonctionnaires, en général énarques, partis améliorer leurs fins de mois dans le privé », avec une mention spéciale qui pourrait avoir un lien avec ADP, pour un (autre) camarade de promotion à l’ENA du président de la République qui, après avoir pris soin de faire sa promotion personnelle aux frais de son employeur para-public (la SNCF) où il sera resté moins de deux ans on ne sait avec quel salaire et dont il aura été immédiatement bombardé « porte-parole » sans rien connaître au fonctionnement de cette entreprise, « devrait partir pantoufler chez Vinci, principal groupe français ayant bénéficié de la privatisation des autoroutes. (…) Il va donc pouvoir relayer en direct à l’Elysée les doléances de Vinci (…) ».

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En décodé encore, l’argent que l’Etat engrangera avec la cession de tout ou partie de sa participation au capital d’ADP, de la FDJ et d’Engie ira, de bout en bout, augmenter les dividendes des actionnaires (« l’avidité de quelques-uns »), au détriment de l’intérêt général.

En amont, au stade de l’achat, des multinationales déterritorialisées auront l’occasion d’accroître leur immense empire.

Ainsi, avant même que le projet de loi PACTE, l’APE – ce triangle des Bermudes administratif relevant du ministère de l’économie dont, à la date du 7 janvier 2019, le site internet ne renseigne ni le nom de la directrice générale adjointe, ni celui du directeur de participations transports, ni celui du directeur de participation industrie – avait dès décembre 2017 chargé la Bank of America Meryll Lynch de piloter la privatisation d’ADP. Voilà comment on gaspille l’argent public à Bercy.

Faut-il préciser que la branche française de Bank of America Meryll Lynch est dirigée depuis décembre 2018 par un très proche du président de la République, qui serait « l’un des derniers qui osent parler ‘cash’ au chef de l’Etat » (Sophie des Déserts, « Bernard Mourad, le banquier qui n’épargne rien à Emmanuel Macron », vanityfair.fr, 22 novembre 2018 : « De gros dossiers l’attendent, à commencer par la privatisation d’ADP, anciennement Aéroports de Paris, opération pour laquelle Bank of America conseille l’État français ; les défis sont nombreux. « Oui, c’est challenging », lâche-t-il, dans son langage managérial, en sirotant, après la caféine, un jus de citron. Il n’a pas l’air inquiet, ni spécialement excité de retrouver ses chaussons de banquier d’affaires ») ? Avec la privatisation d’ADP, il aura probablement l’occasion de lui parler de cash…

Nul doute par ailleurs que le groupe Vinci, déjà détenteur de 8% du capital d’ADP, qui le 27 décembre 2018 a acquis en pleine propriété le contrôle de l’aéroport de Londres-Gatwick pour 3,2 milliards d’euros, aura à cœur d’ajouter un 47ème aéroport à la liste de ceux qu’il contrôle déjà dans 12 pays différents, avec – comme d’habitude s’agissant de ces entreprises mondialisées biberonnées aux fonds publics – l’aide du contribuable français via l’indemnisation que l’Etat est en passe de lui octroyer à la suite de l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes (v. « Notre-Dame-des-Landes : veni, vidi, Vinci », 22 janvier 2018)

Au surplus, au prétexte que la privatisation est limitée dans le temps à 70 ans avant re-nationalisation en 2089 (sic) de la société ADP, laquelle constituera une privation de propriété devant être réalisée moyennant une « juste et préalable indemnité » comme l’exige l’article 17 de la Déclaration de 1789, le projet de loi PACTE prévoit que l’Etat devra verser dès 2019, au moment même de la privatisation (sic), une indemnité préalable partielle d’expropriation d’un milliard d’euros (sic) aux actuels actionnaires minoritaires – parmi lesquels le groupe Vinci donc – de la société ADP ! L’indemnité d’expropriation n’est pas préalable à une renationalisation que seuls les petits-enfants et arrière petits-enfants des lecteurs de ce billet connaîtront si l’espèce humaine n’a pas disparu d’ici là ; elle est en partie concomitante à la privatisation, alors pourtant que rien ne permet de penser que les actuels actionnaires minoritaires d’ADP n’auront pas vendus leurs parts dans le capital bien avant 2089… A-t-on jamais vu un tour de passe-passe aussi baroque, un détournement légalement organisé de fonds publics, où un acquéreur potentiel (le groupe Vinci) reçoit une aide financière substantielle du vendeur ?

En aval, au stade de la redistribution du produit de la privatisation et de ses intérêts, ce sont encore les capitaux privés détenteurs des dettes publiques qui vont se gorger aux frais du contribuable national.

Dans son Indignez-vous ! publié en 2010, Stéphane Hessel dénonçait « les banques désormais privatisées, soucieuses d’abord de leurs dividendes et des très hauts salaires de leurs dirigeants, pas de l’intérêt général ». Il faut désormais ajouter les aéroports régionaux et ADP à une liste qui ne cesse de s’allonger quinquennat après quinquennat.

Les privatisations permises par la loi PACTE sont une erreur politique majeure, qui en cela se situe dans l’exacte perspective de tout ce qui est entrepris depuis le 14 mai 2017 (v. « Nous avons fait des erreurs », 18 décembre 2018 ; Marcel Gauchet, « Macron a échoué sur tout », lesoir.be, 25 décembre 2018 ; v. aussi la conclusion de ce billet) et qui pour reprendre l’expression du porte-parole du gouvernement « attaque la maison France » bien davantage que l’intrusion de gilets jaunes dans son ministère le samedi 5 janvier 2019.

Il ne paraît possible d’empêcher leur réalisation que si un miracle à la « gilet jaune » pouvait contraindre les quelque 360 députés de la majorité présidentielle de renoncer à leur entreprise de destruction massive de la puissance publique.

A moins qu’un obstacle juridique ne vienne contrecarrer les projets en cours, en particulier à l’égard d’ADP…

Car les pouvoirs publics ne se sont pas suffisamment interrogés sur cette question pourtant originelle : la société ADP est-elle privatisable ?

Selon le 9ème alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui a valeur constitutionnelle par l’effet du Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, « tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité » (sur l’origine de ce texte et sa portée, v. Thomas Perroud, « Face aux privatisations, retrouver l’esprit de l’alinéa 9 du préambule de 1946 », blog.juspoliticum.com, 10 juillet 2018).

Avec la loi n° 2005-357 du 20 avril 2005, l’ancien établissement public (personne morale de droit public) ADP a été transformé en société anonyme (personne morale de droit privé) détenue majoritairement par l’Etat en application du second alinéa de l’article L. 6323-1 du Code des transports – l’Etat détient 50,63% de son capital et 58,5% des droits de vote au conseil d’administration.

L’article 4 de cette loi a transféré dans le domaine privé de la société ADP des biens domaniaux – pistes, voies de circulation, aires de stationnement, aérogares, installations de stockage du carburant, réseaux d’eau et d’électricité… – qui appartenaient à l’Etat, lequel les mettait antérieurement à la disposition de l’établissement public ADP. Les biens fonciers d’ADP affectés au service aéroportuaire seront donc pour les 70 prochaines années dans les mains d’actionnaires privés lorsque le capital de la société ne sera plus majoritairement détenu par l’Etat. A l’égard de ces biens et de tous ceux mobiliers ou immobiliers devant revenir à l’Etat à l’issue de la période d’exploitation par la société privatisée, soit en 2089, la loi PACTE modifie l’article L. 6323-6 du Code des transports en ce sens que l’Etat conserve uniquement la possibilité de valider a priorila cession ou la création d’une sûreté (droit réel).

La société ADP gère les treize aéroports franciliens et détient des participations dans des aéroports à l’étranger ; depuis sa transformation en SA, les revenus d’ADP ont connu une augmentation annuelle moyenne de 3,8 % et son résultat net de 10 %. Alors que 102 millions de passagers ont utilisé les plateformes d’Orly et de Charles-de-Gaulle en 2017 (79 millions en 2005), le seul aéroport Roissy-CDG devrait avoir à gérer un flux de 120 millions de passagers annuels d’ici à 2023, date de mise en service du terminal 4, ce qui en ferait le premier aéroport européen.

Le projet de loi PACTE modifie la législation de 2005 et autorise la détention majoritaire du capital de la SA ADP par d’autres sociétés du secteur privé, jusqu’en 2089.

Une telle privatisation ne serait conforme à la Constitution à la double condition que l’exploitation d’ADP ne constitue ni un service public national, ni un monopole de fait.

A en croire l’exécutif et la majorité parlementaire à l’Assemblée nationale, ces conditions sont remplies en l’occurrence – un amendement parlementaires demandant la suppression du projet de privatisation d’APD au nom de son inconstitutionnalité a été rejeté (v. l’amendement CS293 du 2 août 2018).

En ce sens, d’après l’étude d’impact au projet de loi PACTE, « s’agissant de la privatisation, cette dernière est compatible avec les dispositions de nature constitutionnelle applicables. En effet, la mission de service public confiée à ADP, telle qu’énoncée à l’article L. 6332-2 du code des transports, s’exerce sur la seule région Ile-de- France. Il ne peut donc être considéré, à ce titre, que la société exerce une activité assimilable à un service public national ou à un monopole de fait » (p. 433).

On est frappé par l’indigence de cette affirmation, qui cite au surplus un article du Code des transports totalement hors sujet – l’article L. 6332-2 est relatif à la police des aérodromes assurée par le préfet compétent : c’est l’article L. 6323-2 du même Code qui fixe le cadre général des missions d’ADP : « Aéroports de Paris est chargée d’aménager, d’exploiter et de développer les aérodromes de Paris – Charles-de-Gaulle, Paris – Orly, Paris – Le Bourget, ainsi que les aérodromes civils situés dans la région Ile-de-France dont la liste est fixée par décret. Elle peut exercer toute autre activité, aéroportuaire ou non, dans les conditions prévues par ses statuts ».

Elle fait écho par son caractère lapidaire et peu motivé à celle contenue dans l’avis n° 394599 rendu le 14 juin 2018 par le Conseil d’Etat relativement à ce projet de loi : le Conseil d’Etat « relève que si la société ADP est chargée, à titre exclusif, d’exploiter une dizaine d’aéroports civils, ceux-ci sont tous situés dans la région d’Ile-de-France. Il estime donc qu’ADP, nonobstant l’importance des aéroports qu’elle exploite, n’exerce pas une activité présentant le caractère d’un service public national ou d’un monopole de fait, au sens et pour l’application du neuvième alinéa du Préambule de 1946 » (pt 77).

On ne peut manquer de rapprocher ces affirmations péremptoires, dépourvues de valeur juridique, de ce qu’a dit le ministre de l’Economie devant la commission spéciale constituée à l’Assemblée nationale pour examiner le projet de loi PACTE : « J’ai toujours considéré qu’il valait toujours mieux faire confiance aux littéraires plutôt qu’aux juristes. Malheureusement, au Conseil d’État, ce sont des juristes ! » (AN, rapport n° 1237, 15 septembre 2018, p. 794).

Est-il possible de faire confiance aux juristes du secrétariat général du gouvernement et aux membres du Conseil d’Etat qui le plus souvent ne deviennent juristes que par la force des choses, en intégrant cette institution ?

sc-po

Une réponse négative s’impose, dès lors qu’une analyse étayée permet d’établir avec certitude que la société ADP exploite un monopole de fait (I) en même temps qu’un service public national (II) au sens du neuvième alinéa du Préambule de 1946.

I – ADP exploite un monopole de fait.

A – La notion de « monopole de fait » a ainsi été précisée par le Conseil constitutionnel : elle « doit s’entendre compte tenu de l’ensemble du marché à l’intérieur duquel s’exercent les activités des entreprises ainsi que de la concurrence qu’elles affrontent dans ce marché de la part de l’ensemble des autres entreprises ; on ne saurait prendre en compte les positions privilégiées que telle ou telle entreprise détient momentanément ou à l’égard d’une production qui ne représente qu’une partie de ses activités » (CC, 25 et 26 juin 1986, n° 86-207 DC, Loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d’ordre économique et social, § 55). Dans son commentairesous sa décision Loi relative au secteur de l’énergie du 30 novembre 2006 évoquée plus loin, le Conseil constitutionnel a ajouté qu’une entreprise est un monopole de fait si, « d’une part, les secteurs d’activité sur lesquels elle détient une position exclusive ou prépondérante occupent une place importante et non substituable dans l’économie nationale, et d’autre part, si ces secteurs d’activité représentent la majeure part de son activité globale ».

Pour la Française des jeux, actuellement détenue à 72% par l’Etat, le Conseil d’Etat a considéré que sa privatisation était possible car cette société anonyme, dont il est établi depuis 1999 qu’elle ne constitue pas un service public, « ne dispose pas d’une position prépondérante sur le marché des jeux de hasard en France, sur lequel interviennent de nombreux opérateurs (PMU, casinos, opérateurs de jeux en ligne), et exerce une partie de ses activités sur des marchés concurrentiels (paris sportifs en ligne en France, activités réalisées à l’étranger via ses filiales), ne peut être regardée comme se trouvant en situation effective de monopole de fait » (pt 81).

Cette affirmation est très discutable dès lors que le Conseil d’Etat a choisi un segment de marché – celui des jeux de hasard en général, incluant les casinos et les paris hippiques – beaucoup trop large par rapport à celui où intervient la FDJ, laquelle dispose incontestablement « d’un monopole de paris sportifs grâce à son réseau physique de distribution et un monopole des jeux de hasard pur, par Internet ou dans son réseau physique » (intervention de M. Emmanuel de Rohan-Chabot, président de l’Association française des jeux en ligne, devant la commission spéciale « transformation entreprises » du Sénat le 7 novembre 2018, qui s’est interrogé de manière très pertinente : « aujourd’hui, les jeux de hasard pur, à l’exception des casinos, sont détenus par un monopole public. Demain, ils seront détenus par un monopole privé. Est-il défendable de laisser dans des mains privées le monopole d’une activité de hasard pur, comme le casino en ligne, aujourd’hui strictement interdit en France ? ») ; elle a au moins le mérite d’exister et de donner prise à discussion.

En revanche, on ne trouve nul début d’explication comparable au pt 77 de l’avis, qui assène comme un élément allant de soi que la SA ADP ne dispose pas d’un monopole de fait au sens du Préambule de 1946.

De façon tout aussi péremptoire, l’une des rapporteures du projet de loi PACTE devant l’Assemblée nationale a assuré que « la privatisation d’ADP ne serait pas jugée contraire à la Constitution, car cette société n’est pas considérée comme constituant un monopole de fait » (AN, rapport préc., p. 787).

C’et ce qu’indique l’avis du Conseil d’Etat qui relève qu’elle est chargée « à titre exclusif » de l’exploitation de tous les aéroports situés en région parisienne, et qu’elle le sera encore après privatisation pour une durée de 70 ans.

Ainsi qu’il résulte clairement du texte même du Préambule de 1946, la notion constitutionnelle de « monopole de fait » n’a pas à porter sur l’intégralité du territoire national : il suffit que l’exploitation d’une activité soit effectivement monopolistique sur telle portion du territoire pour qu’elle devienne ou doive demeurer la propriété de la collectivité publique – qui n’est pas nécessairement l’Etat (Conseil constitutionnel, 5 août 2004, décision n° 2004-501 DC, Loi relative au service public de l’électricité et du gaz, considérant 14 : le neuvième alinéa du Préambule de 1946 est respecté dès lors que la participation de l’État ou d’autres entreprises ou organismes appartenant au secteur public reste majoritaire dans le capital de cette société). A cette aune, de toute évidence, chaque aéroport est en lui-même un monopole de fait, ainsi que l’a souligné l’économiste Yves Crozet auditionné par la commission spéciale « transformation entreprises » du Sénat le 7 novembre 2018 : « un aéroport est un monopole naturel ». Exactement en ce sens, le secrétaire d’Etat aux transports et à la mer a affirmé en séance publique au Sénat, le 31 mars 2005, à l’occasion de l’examen en deuxième lecture du projet de loi relatif aux aéroports : « les aéroports sont des monopoles ‘physiques’, si je puis dire ».

S’agissant en particulier d’ADP alors établissement public, la Cour des comptes a relevé dès son rapport public annuel pour 2002 « le caractère monopolistique de la plupart de ses activités » (412) et qu’il prélevait ses recettes « en situation monopolitstique » (p. 402). Dans son rapport de 2008 sur Les aéroports français face aux mutations du transport aérien, la Cour des comptes a considéré que « la réforme (issue de la loi du 20 avril 2005) a abouti à conférer de fait à ADP un monopole d’exploitation pour une durée illimitée des aéroports existant en Ile-de- France » (p. 158). Dix ans plus tard, dans son rapport précité d’octobre 2018, la Cour des comptes a marqué « les différences importantes existant entre ADP et les aéroports régionaux, en matière d’enjeux stratégiques, économiques, de régime de régulation et de propriété des actifs », précisant : « Ainsi, les plateformes parisiennes gérées par ADP ont accueilli trois fois plus de passagers que les trois aéroports régionaux de Toulouse, Lyon et Nice réunis ».

Toutefois, le Conseil d’Etat a lu l’alinéa neuf du Préambule de 1946 de manière à la fois inexacte et restrictive en jugeant, pour valider la (désastreuse) privatisation des autoroutes, que « l‘exploitation d’une entreprise ne peut avoir les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait (…) que si elle est exercée à l’échelon national » (CE 27 septembre 2006, François Bayrou et autres, n° 290716). Le Conseil d’Etat a ajouté au texte constitutionnel en accolant l’adjectif « national » à la catégorie des monopoles de fait.

B – Même si l’on s’en tient à cette déformation grossière d’un texte constitutionnel pourtant clair, ADP exploite de toute évidence un monopole national de fait.

La société ADP gère indirectement des frontières entre la France et le monde entier sur une superficie équivalente à la ville de Paris – c’est le plus grand domaine aéroportuaire d’Europe. Il n’est loisible à nulle compagnie aérienne, quelle que soit sa nationalité, quelle que soit la provenance de l’avion ou son lieu de destination, de desservir la région parisienne sans recourir aux services d’ADP, laquelle est seule à détenir le droit d’exploiter notamment les aéroports de Paris-Charles-de-Gaulle, Paris-Orly et Le Bourget. Or, ainsi que le rappelle l’étude d’impact (p. 431), de tels droits exclusifs sont définis par la directive européenne n° 2006/111/CE du 16 novembre 2006 relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques comme étant « des droits accordés par un État membre à une entreprise au moyen de tout instrument juridique, règlementaire et administratif, qui lui réserve le droit de fournir un service ou d’exercer une activité sur un territoire donné ». Au regard de tous ces éléments, force est de considérer que l’exploitation de la société ADP « est exercée à l’échelon national » au sens de la jurisprudence Bayrou et autres de 2006.

Dans sa décision n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006 Loi relative au secteur de l’énergie, le Conseil constitutionnel a rejeté le moyen tiré de ce que GDF constituerait un monopole de fait, au vu, d’une part, de la possibilité matérielle pour d’autres entreprises de transporter, distribuer, produire, importer et stocker du gaz et, d’autre part, de la substituabilité du gaz par d’autres énergies (considérants 21 à 25). Par comparaison, ADP a seule et sans limitation de durée le droit d’exploiter les aéroports de la région parisienne, auxquels aucun autre n’est substituable, et sont activité dans ces aéroports représente la majeure part de son activité globale, au sens que le Conseil constitutionnel donne à la notion de « monopole de fait ». Si ces éléments relatifs à l’activité d’ADP ne caractérisent pas un « monopole de fait » au sens du 9ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, alors cette notion est une coquille vide.

II – ADP exploite un service public national.

Nul ne conteste qu’en exploitant les aéroports parisiens, la société ADP exerce des missions de service public aéroportuaire.

Mais quelle est l’étendue géographique de ce service public ? S’agit-il d’un service public régional, à l’instar par exemple de la RATP ? ou d’un service public national ?

A – La réponse à cette question se déduit de l’ampleur quotidienne de l’activité d’ADP.

Les missions d’ADP sont indispensables « au développement économique de la Nation, à son interconnexion avec le reste du monde et la desserte de la capitale », pour reprendre les termes de l’étude d’impact (p. 432), qui souligne par ailleurs « le caractère essentiel d’ADP pour le développement économique, la connectivité de la France et la sécurité publique » (p. 433) et assure que « ADP est un acteur essentiel du transport aérien » (p. 434). Bien qu’ayant son siège à Paris et ses activités majoritairement réalisées en Ile-de-France, la société ADP a de toute évidence un rayonnement national et même international, qui interdit qu’elle puisse sérieusement être qualifiée de service public purement local. Si l’importance pour la Nation de l’exploitation des activités d’ADP ne caractérise pas un service public national, on ne voit pas très bien ce que cette qualification peut recouvrir…

Quoi qu’en dise le Conseil d’Etat dans ses formations consultatives, la société ADP exploite un service public national au sens de l’alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946.

B – Au demeurant, et en tout état de cause, la qualification de service public national a été donnée aux activités d’ADP… par le législateur lui-même, en 2005 !

Il suffit pour le constater de relire les travaux préparatoires à la loi du 20 avril 2005 relative aux transports, qui a transformé l’établissement public ADP (personne morale de droit public soumise au principe de spécialité) en société anonyme ADP (personne morale de droit privé), et qui par ailleurs qualifie les aéroports régionaux d’aéroports à vocation nationale ou internationale, dans la droite ligne de l’article 28-I de la loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, qui distinguait les 150 aérodromes civils « des aérodromes d’intérêt national ou international et de ceux qui sont nécessaires à l’exercice des missions de l’Etat ». Parmi ces derniers, figurait ADP, seul établissement public aéroportuaire puis seule société aéroportuaire à être mentionnée dans un texte de niveau législatif (les articles L. 251-2 et L. 260-1 du Code de l’aviation civile).

Le 29 septembre 2004, le Conseil des ministres avait publié un communiqué de presseassurant que « l’État conserve, en tout état de cause, la majorité du capital de cette entreprise (ADP) qui représente un élément majeur de la politique d’aménagement et d’attractivité du territoire », ces termes étant repris dans l’exposé des motifs du projet de loi.

Dans le rapport d’information établi par le Sénat sur ce projet de loi, on lit que « ADP joue un rôle considérable dans l’aménagement du territoire national, à la fois par son poids économique pour la région-capitale et par son utilité pour le transport interne à la France, aussi bien en métropole que dans le lien entre celle-ci et les départements et territoires d’outre-mer. (…) A ce titre, il convient de noter que les plateformes d’ADP se caractérisent par un poids sans commune mesure avec celui des autres grandes plateformes française » (Sénat, rapport n° 49, 3 novembre 2004, p. 7). Surtout, dans une section consacrée à « la nécessité de préserver les intérêts nationaux », le rapport ajoute cet élément décisif :

« Le projet de loi soumis à votre Haute Assemblée dispose, en son article 6, que la majorité du capital d’ADP est détenu par l’Etat. Votre rapporteur se félicite de ce choix du Gouvernement. Au vu du caractère stratégique et de la situation de monopole d’ADP, il ne lui paraît en effet pas adapté que cette société puisse passer sous contrôle privé.

Votre rapporteur estime en outre que, si d’aucuns en évoquaient la perspective, la privatisation d’ADP se heurterait à des obstacles juridiques de nature constitutionnelle et européenne.

Sur le plan constitutionnel, il appartiendrait au juge de déterminer dans quelle mesure la détention majoritaire d’ADP par des capitaux privés serait compatible avec le neuvième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui dispose que « tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Le Conseil constitutionnel n’a pas établi, à ce jour, de jurisprudence probante en ce domaine, n’ayant pas été saisi directement de la question de la privatisation par une loi d’une entreprise en situation de monopole. Néanmoins, nonobstant la question de l’existence ou non d’un monopole de fait, votre rapporteur considère quant à lui que le caractère de service public national d’ADP n’est guère contestable » (p. 12, non souligné).

« Le caractère de service public national d’ADP n’est guère contestable ». Tout est dit, clairement, simplement : l’entreprise ADP, qui ne connaît pas de concurrence pour la desserte de la région Ile-de-France et le transit vers des destinations aériennes nationales et internationales, est un service public national de part la volonté du législateur ; en conséquence, elle ne saurait « passer sous contrôle privé » sans que, préalablement, le législateur lui ait ôté le caractère de service public national inhérent à l’exploitation de ses activités.

En séance publique le 9 novembre 2004, le rapporteur du projet de loi a ainsi répondu aux interrogations d’une sénatrice quant au statut et à une éventuelle privatisation d’ADP, alors que celle des aéroports régionaux était d’ores et déjà envisagée :

« M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Je répondrai à Mme Luc par quatre observations.

La première a trait à la question de fond, c’est-à-dire à la constitutionnalité du présent texte. 

Je rappelle, tout d’abord, les termes du neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946  : « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». 

Par ailleurs, vous avez certainement lu mon rapport. 

Mme Hélène Luc. Très attentivement !

Jean-François Le Grand, rapporteur. Je vous en remercie et vous avez eu raison, encore que, visiblement, vous ne l’ayez pas forcément compris(Exclamations sur les travées du groupe CRC.), car j’y affirme le caractère de service public national d’ADP, ce qui prouve que, sur ce point, nous sommes tout à fait en phase.

En outre, aux termes du présent projet de loi, l’Etat reste propriétaire de la société Aéroports de Paris puisqu’il en sera l’actionnaire majoritaire. 

En l’occurrence, les trois ingrédients de la constitutionnalité du texte sont réunis, sans aucune ambiguïté. 

Je suis donc au regret de vous contredire, madame Luc, et heureux d’affirmer que la commission a jugé que le texte tel qu’il nous est soumis est constitutionnel. »

Ce caractère de service public national est inhérent aux activités d’ADP ; le législateur ne peut y mettre fin qu’en démantelant la société ADP préalablement à sa privatisation, par exemple en attribuant la gestion des aéroports parisiens à différentes sociétés (v. en ce sens : CC 30 novembre 2006, préc., considérant 14 : « le fait qu’une activité ait été érigée en service public national sans que la Constitution l’ait exigé ne fait pas obstacle au transfert au secteur privé de l’entreprise qui en est chargée ; que, toutefois, ce transfert suppose que le législateur prive ladite entreprise des caractéristiques qui en faisaient un service public national »).

Or, la loi PACTE ne modifie pas les missions de service public national dévolues à ADP depuis sa création en 1945, à la différence du « cas » de Gaz de France pour lequel le Conseil constitutionnel avait considéré que « la loi déférée fait perdre à Gaz de France, à compter du 1er juillet 2007, son caractère de service public national  ». Il est partant interdit, par application du neuvième alinéa du Préambule de 1946, que cette loi permette à des intérêts privés de détenir une participation majoritaire et a fortioriunique dans le capital d’ADP, laquelle demeure le service public national qu’elle a toujours été.

*

*          *

L’exécutif a évidemment conscience de ces difficultés constitutionnelles, puisqu’il a limité à 70 ans la durée de la privatisation d’ADP « afin de garantir la reprise du contrôle par l’Etat sur les actifs aéroportuaires parisiens et l’absence de transfert au secteur privé d’un droit exclusif sans limitation de durée » (étude d’impact, p. 433). Mais une entreprise publique est privatisable ou ne l’est pas ; elle ne peut pas l’être pour 10, 20, 30, 70, 100 ou 150 ans « seulement ».

On croit l’avoir démontré, ADP n’est pas privatisable, ni pour une année, ni pour les 70 prochaines années.

Le problème est qu’il appartiendra in fine au seul Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité de la loi PACTE au Préambule de 1946.

Or, par les déclarations de son président dès le 14 mai 2017 liant le succès d’Emmanuel Macron à celui de la France, par diverses collusions survenues depuis en particulier avec Michel Charasse qui conseille le président de la République jusqu’à lui envoyer des SMS de manière frénétique début décembre 2018 relativement à la crise des « gilets jaunes » (v. Le Nouvel observateur, n° 2823, 13-19 décembre 2018, p. 44 : « Un rescapé de l’ancien monde : Michel Charasse, ministre du Budget de François Mitterrand. A 77 ans, il est aujourd’hui un des sages (sic) du Conseil constitutionnel. L’homme d’expérience envoie plusieurs SMS au président, en forme de signal d’alarme. En substance, il avertit qu’il doit se méfier de Gérald Darmanin, l’homme du prélèvement à la source. ‘Vous serez seul redevable devant les français de cette connerie de Bercy, pas lui’, insiste-t-il. Le gardien de la foi mitterrandienne défend l’idée de ‘faire relâche’ en matière de pression fiscale »), il est objectivement possible d’affirmer que le Conseil constitutionnel est une dépendance de l’Elysée (« Moralisation de la vie publique : le mauvais exemple vient d’en haut », 30 janvier 2018), de sorte qu’il n’y a rien à attendre de cet organisme de validation accommodante des volontés de l’exécutif qu’est l’institution présidée par un ancien membre du même gouvernement que l’actuel président de la République.

Il ne faut pas s’étonner qu’après tant de violences d’Etat accumulées depuis des décennies sur tous les terrains dont ceux de la finance et de l’éthique publique, les revendications et violences sociales finissent par exploser. Tarir ces dernières est subordonné à l’assèchement préalable des premières (v. Edwy Plenel, « Gilets jaunes : la violence du pouvoir attise la violence du pays », Mediapart, 7 janvier 2019), mais évidemment pas à l’adoption d’une énième loi sécuritaire potentiellement dirigée cette fois-ci contre chacun des français désireux de manifester ainsi que l’a pourtant annoncé le 7 janvier 2019 sur TF1 un Premier ministre qui persévère avec une incroyable entêtement dans ses erreurs politiques tous azimuts, en approuvant une proposition de loi sénatoriale dont son secrétaire d’Etat à l’Intérieur relevait l’inconstitutionnalité et l’inutilité le mois précédent (v. l’audition de Laurent Nunez par la commission des Lois du Sénat le 4 décembre 2018 : « Il s’agit tout de même de créer un fichier des personnes qui manifestent, de savoir si nous pouvons transformer en délit la contravention qui consiste à manifester le visage dissimulé… Il n’y a rien de pire que de voir des dispositions censurées par le Conseil constitutionnel ou annulées par le Conseil d’État ! Le début de l’année 2019 semble un délai très raisonnable et, soyons sérieux, aucune des mesures prévues dans ce texte n’aurait eu d’effet sur cette population que, majoritairement, nous ne connaissons pas ») ! Se revendiquer En Marcheet vouloir trier les bons et les mauvais manifestants : oui, « soyons sérieux » !

C’est pourquoi en l’état, on ne compte en réalité que sur l’inventivité des « gilets jaunes » pour faire renoncer les décideurs publics nationaux à la privatisation annoncée d’Aéroport de Paris pour les 70 prochaines années. A moins que, par un aussi soudain qu’imprévisible sursaut de lucidité, l’exécutif se décide enfin à faire sa propre révolution, ou à défaut à demander par un référendum de l’article 11 de la Constitution au peuple français d’approuver ou non le volet privatisations du projet de loi PACTE.