Accords commerciaux : le débat est-il à la hauteur de l’enjeu ?

LIBRE-ÉCHANGE

JULIEN HALLAK
Les négociations d’accords de libre-échange transatlantiques, le TTIP avec les Etats-Unis, le Ceta avec le Canada et maintenant l’accord UE-Mercosur avec l’Amérique latine, ont récemment mobilisé une grande partie de l’opinion publique européenne. Ces mouvements ont réussi à mettre la question des finalités de la politique commerciale sur le devant la scène.

Le rapport 2019 de l’Institut pour le développement de l’information économique et sociale (Idies), qui vient d’être publié, vise à présenter une analyse de la qualité du débat démocratique en France sur les accords commerciaux à partir d’une série d’entretiens qui donnent un aperçu, n’ayant pas vocation à être représentatif, des positions des experts, parties prenantes, journalistes et professeurs sur ce sujet. Nous en donnons les principaux éléments ici.

Un débat mal posé

Au plus fort de la contestation contre le Ceta, Emmanuel Macron évoque une « naïveté libre-échangiste », mais dénonce l’installation d’un « néoprotectionnisme » fondé sur le rejet de l’autre lorsqu’il s’exprime au Conseil européen le 2 juillet dernier. Cette attitude paradoxale, qui consiste à rejeter le « libre-échange » tout en craignant ses alternatives, paralyse le débat démocratique d’une manière particulièrement dangereuse. Ni le protectionnisme agressif à la Donald Trump, ni la maximisation des échanges et des investissements ne sont favorables à une transition écologique et sociale qui se fait de plus en plus urgente.

Par ailleurs, à l’heure où les droits de douane mondiaux sont au plus bas, cette dichotomie entre « ouverture » et « fermeture » n’a plus aucun sens. Pour Jean-Marc Siroën, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine : « La qualification d’accords de libre-échange est totalement à côté de la plaque, même si c’est compréhensible vu la limitation de nos cadres d’analyse ». Pour Mathilde Dupré, co-directrice de l’Institut Veblen pour les réformes économiques : « Le commerce est depuis trop longtemps pensé comme un enjeu séparé des autres dimensions du fonctionnement d’une économie, alors que les accords de commerce ont un impact certain sur nos politiques publiques. Le débat est d’emblée très mal posé ».

Une écoute limitée des parties prenantes

Le jeu en vaut-il la chandelle ? Ces accords tentent-ils de répondre aux besoins de la société civile tout en bénéficiant à l’économie européenne ? Les parties prenantes interrogées sont restées sceptiques sur les deux aspects. Pour la CPME, les petites et moyennes entreprises ne sont pas réellement incitées à bénéficier de ces accords : « Il n’y a pas eu suffisamment d’informations de la part des autorités ». La FNSEA regrette pour sa part une « mise en concurrence des modèles agricoles […] des produits faits dans des conditions de concurrence déloyale peuvent donc arriver sur nos marchés sans aucun problème », pourtant relevée par le rapport commandé en 2017 par le gouvernement sur le Ceta.

Malgré l’introduction d’un chapitre sur le développement durable dans les nouveaux accords, la CFDT demande un « suivi réel de l’application des normes sociales et environnementales et un rôle accru des ONG et des syndicats dans le suivi de la mise en œuvre générale des accords », pour que ceux-ci répondent réellement aux préoccupations de la société. Malgré quelques améliorations, tous les interrogés témoignent de l’opacité des négociations et la difficulté d’avoir assez d’informations, de moyens et de temps pour prendre du recul.

Un manque de recul

Les traités actuels vont bien au-delà du commerce. Ils touchent au fonctionnement de nos économies en général, en mettant en place une coopération sur les règles de protection des investissements, de l’accès aux marchés publics, ainsi que sur les normes techniques, sanitaires, environnementales et sociales. Tout cela explique les inquiétudes du public, qui demande une présentation claire des coûts et bénéfices à signer ces traités.

Les entretiens avec Sébastien Jean, directeur du Cépii, et Pierre Kohler, économiste à la Cnuced, révèlent combien les études d’impacts passent à côté de l’essentiel du contenu de ces accords. Leur caractère limité touche aussi à la fermeture sur elle-même de l’économie en tant que discipline qui, malgré la crise de 2008 et de nombreux appels d’étudiants comme d’intellectuels au débat théorique et à l’interdisciplinarité, campe sur ses positions.

De plus, les économistes proposant des contre-expertises ne sont même pas invités à participer au débat scientifique et institutionnel. Ils se voient marginalisés a priori. Cela provoque pourtant des effets politiques, comme le conclut le rapport du gouvernement sur le Ceta : « Les bénéfices à attendre des accords de libre-échange ont par le passé été surestimés par leurs promoteurs, tandis que les conséquences distributives en ont été minimisées et les externalités négatives tout simplement ignorées. »

Pour une régulation des échanges

Si les accords actuels visent bien à maximiser les échanges entre deux partenaires commerciaux, ils ne sont pas dénués de règles. En ce sens, tous les accords sont des textes de régulation des échangesIl ne s’agit donc pas de se demander si le commerce est un bien ou un mal en soi, mais quelles finalités et quels objectifs sert la politique commerciale. De ce point de vue, la politique commerciale constitue une politique économique comme une autre, et elle doit donc être articulée à des impératifs de transition écologique et sociale. Personne ne défend un retour au chacun pour soi.

Julien Hallak est chargé de mission à l’Institut Veblen.

Le travail de l’Idies sera présenté plus en détail et discuté aux Journées de l’Économie de Lyon le 6 novembre à l’INSEEC Amphi 4, 25 Rue de l’Université, 69007 Lyon, de 14h à 15h30 avec Mathilde Dupré, co-directrice de l’Institut Veblen pour les réformes économiques, Jean-Marc Vittori, éditorialiste Les Echos, Marie Viennot, journaliste à France Culture et Mariano Fandos, secrétaire confédéral CFDT (Plus d’informations et inscription ici).

https://www.alternatives-economiques.fr/accords-commerciaux-debat-a-hauteur-de-lenjeu/00090722

Tout ce qu’il faut savoir sur le CETA

« En évitant soigneusement les questions majeures : Est-il prudent de se rendre dépendant d’un pays outre Atlantique pour des questions alimentaires la situation énergétique étant ce qu’elle est ? Qui d’autre que les multinationnales trouve un intérêt à cet accord ? Ne s’agit-il pas de la mise en place d’un énorme gaspillage ? Veut-on vraiment aller jusqu’au bout de la privatisation de nos services publiques ? Veut-on vraiment donner tous les pouvoirs aux firmes et abandonner notre système démocratique (déjà très mal en point) ? La politique, la vraie, ne consisterait-elle pas à mettre en place ce qu’il est utile de faire (créer une agriculture qui nous donne une autonomie alimentaire, redéfinir les besoins des individus et constituer une société qui puisse les satisfaire, créer un contre-pouvoir aux volontés hégémoniques des firmes, …) ? Il est clair, avec un minimum d’objectivité, que la signature du CETA emmène le monde à l’opposé de ces intérêts et de nos intérêts. Il ne s’en cache même pas, c’est seulement les observateurs qui s’efforcent de ne pas le voir. »

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PTout ce qu'il faut savoir sur le CETA

Publié le
Les agriculteurs avancent beaucoup de raisons pour expliquer leur colère. Mais ces dernières semaines, c’est le vote en faveur du Ceta à l’Assemblée nationale du 23 juillet dernier qui a remis le feu aux poudres. Qu’implique cet accord entre l’Union Européenne et le Canada ? Pourquoi inquiète-t-il à ce point nos agriculteurs ? Éléments de réponse.
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Qu’est-ce que le Ceta ?

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Pourquoi le qualifie-t-on d’accord de «nouvelle génération» ?

Cette expression est employée depuis 2011 et le début des négociations pour l’accord en l’UE et la Corée du Sud, bouclé en 2015. Elle signifie que contrairement aux anciens accords commerciaux, la «nouvelle génération» ne se limite pas à la simple réduction des droits de douane entre les États que l’accord concerne. Les nouveaux accords réduisent également ce qu’on appelle les «obstacles non-tarifaires». Dans le cas du Ceta, ça veut dire que l’accord va également faciliter l’échange de services, ouvrir davantage les marchés publics aux candidatures étrangères ou encore harmoniser les normes de toute nature afin de limiter les démarches de certification de conformité à l’exportation.

PQui est contre et pourquoi ?

À l’échelle de l’Europe, les réticences gouvernementales ont été assez faibles dans un premier temps. Seule la Belgique, en 2016, à cause du refus de trois gouvernements régionaux, a fait reporter de quelques jours la ratification du traité par le Parlement européen. Aujourd’hui, d’autres pays posent problème, au premier rang desquels l’Italie, qui a promis à plusieurs reprises à ses agriculteurs que l’accord ne passerait pas chez eux. L’Irlande et la Pologne font aussi partie des pays où le travail législatif n’a pas commencé. En l’état, 90 % du contenu de l’accord – la partie qui ne nécessitait que la ratification de l’UE – est déjà entré en vigueur. Mais si l’Italie ou n’importe quel autre parlement national ou régional des 28 États membres refuse de ratifier la partie de l’accord qui dépend de l’État et qui concerne les tribunaux d’arbitrage, alors c’est la globalité du Ceta, sous cette forme, qui devra être abandonné. En France, les critiques viennent principalement de deux secteurs pourtant souvent en opposition : agriculteurs et écologistes. Les premiers craignent une nouvelle concurrence déloyale venue d’Outre-Atlantique, puisque l’accord prévoit une très importante augmentation des quotas d’importation de produits canadiens comme le bœuf, le porc, le blé ou le maïs. Problème : les agriculteurs canadiens sont soumis à beaucoup moins de contraintes de production que leurs homologues français. Leurs prix sont donc plus compétitifs. Du côté des écologistes, on regrette cette augmentation d’échanges commerciaux qui va fatalement avoir un impact sur l’environnement via le transport de marchandises.

PQui est pour et pourquoi ?

La majorité des pays de l’UE sont favorables au Ceta. D’ailleurs, en plus de la France, 13 des 28 États membres ont déjà ratifié l’accord (Autriche, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Lettonie, Lituanie, Malte, Portugal, République Tchèque, Royaume-Uni et Suède). En France, même s’il subsiste des réserves, les producteurs de fromage doivent pouvoir bénéficier de l’augmentation des quotas d’exportation. La reconnaissance sur le sol canadien de 143 appellations géographiques européennes (sur un total de 1 500), dont 42 pour la France, est également une bonne nouvelle. Mais les principaux bénéficiaires pourraient être les grandes entreprises comme Alstom ou Bouygues, qui lorgnent l’ouverture des marchés publics canadiens à la concurrence européenne (de 10 % à 30 %).

Depuis des années, la colère monte

«Suicides», «endettement», «sécheresse», «loup», «CETA», «Mercosur», «retraites», «ZNT», «prix», «végans». Dans les allées du Sommet de l’élevage de Clermont-Ferrand vendredi dernier, Emmanuel Macron a pu apprécier sur les pancartes tous les motifs de griefs des agriculteurs, qui se cumulent depuis des années. Et il y en a eu d’autres ! Souvenez-vous l’hiver 2017-2018. À la fin du mois de janvier, les agriculteurs, révoltés contre la diminution des zones agricoles défavorisées, avaient multiplié les actions d’envergure. Dans la région en particulier : à Toulouse, une vaste opération de blocage du périphérique avait eu lieu, point d’orgue de plusieurs semaines de grogne au bout desquelles ils avaient obtenu gain de cause. Mais encore ? L’ours, la grippe aviaire… La liste est très longue.

 Lucas Serdic

Les défis des nouveaux traités de libre-échange

18 décembre 2018

L’agenda commercial européen a récemment renégocié les accords de libre-échange. Ces derniers peuvent être les bienvenus, mais sous conditions.

Même si le président Trump conduit une politique commerciale fondée sur les tarifs et l’intimidation, l’agenda commercial européen a été récemment rythmé par les négociations sur les accords dits « profonds » avec le Canada (Ceta), les Etats-Unis (TTIP) ou le Japon. Ces accords peuvent être les bienvenus – sous conditions.

Une libéralisation non standard

Les tarifs européens étant déjà très bas, exception faite de l’agriculture, ces nouveaux accords traitent davantage des services, de la propriété intellectuelle, et de la compatibilité des tests et régulations. Cette avancée est globalement positive. Si les phares d’une voiture japonaise sont reconnus conformes aux standards des Nations unies au Japon, il n’apparaît pas opportun de tester à nouveau cette conformité en Europe. À moins bien sûr de vouloir imposer un coût supplémentaire aux producteurs japonais – et aux consommateurs de ces voitures en Europe. Les nouveaux accords de commerce font un pas important dans cette direction, qui doit être encouragé.

Les économistes s’accordent à dire que le commerce international peut accroître les inégalités au sein des pays.

La redistribution des gains du commerce

Les économistes s’accordent à dire que le commerce international peut accroître les inégalités au sein des pays. L’opinion dominante est néanmoins que le libre-échange génère plus de gains que de pertes et bénéficie à tous si les gagnants compensent les perdants. Ce principe est le fondement des efforts de libéralisation commerciale des dernières décennies, mais les compensations promises n’ont pas toujours été à la hauteur. Au final, un clivage entre les perdants et les gagnants de la mondialisation est né, et des dirigeants aux politiques par ailleurs très libérales se font maintenant les champions du protectionnisme.

La mondialisation est devenue le coupable idéal de la montée des inégalités.
Si l’ouverture commerciale fait en effet des gagnants et des perdants, il en va de même d’autres évolutions. Le progrès technologique bénéficie aux travailleurs les plus qualifiés quand la robotisation remplace les moins qualifiés. La mondialisation est cependant devenue le coupable idéal de la montée des inégalités, venant dédouaner une politique nationale incapable d’y remédier. Cette incapacité est le fruit d’un manque de volonté politique mais aussi de la difficulté à mettre en place une politique de redistribution dans un monde où le capital est mobile. D’où la nécessité d’une coordination internationale.

Le protectionnisme n’est pas la solution, mais des accords de libre-échange négligeant l’aspect distributif sont insuffisants et intenables. Un des enjeux pour la politique commerciale de demain est d’inclure la répartition des gains à la mondialisation, c’est-à-dire une dimension fiscale. Alors que les plus grandes multinationales peuvent aujourd’hui éviter l’impôt sur les sociétés dans les pays dans lesquels elles font leurs profits, l’occasion est unique d’obtenir l’engagement des signataires des grands accords commerciaux pour une coopération fiscale et une taxation juste des profits des entreprises multinationales.

La pollution générée par le transport international des marchandises et celle liée à la production de nombreux pays n’est pas reflétée de façon adéquate dans le prix des biens.

Mondialisation et environnement

À l’heure actuelle, la pollution générée par le transport international des marchandises et celle liée à la production de nombreux pays n’est pas reflétée de façon adéquate dans le prix des biens. Dans ces conditions, mondialisation et environnement ne peuvent pas faire bon ménage. Un accord mondial fort étant utopique, d’aucuns se réfugieraient dans l’inaction. Pourquoi l’Europe devrait-elle forcer ses producteurs polluants à payer au détriment de leur compétitivité et des emplois européens?

Ces effets appellent à la mise en place d’une taxe carbone à la frontière. Une telle taxe augmenterait les prix des importations de biens en proportion du carbone émis dans leur processus de production, rétablissant l’équilibre entre les producteurs européens et leurs concurrents étrangers. Elle serait nécessairement complexe et imparfaite: comment mesurer le CO2 émis pour produire une tonne d’acier dans une usine à Delhi? Elle ne serait donc pas toujours claire et objective, deux propriétés pourtant souhaitables. Serait-elle pour autant plus arbitraire que les politiques d’antidumping, et leur dose d’opacité? C’est là que les accords commerciaux du futur doivent mettre l’accent: intégrer les marchés du carbone, encourager la collecte et l’échange de données d’émissions, et conditionner leur application au respect de normes environnementales.

Mathieu Parenti et Gonzague Vannoorenberghe prendront la parole sur le thème des relations commerciales internationales à la tribune de la Société royale d’économie politique ce jeudi 20 décembre à 12h15 dans les locaux du SPF Économie, à Bruxelles. Renseignements: secretariat@economie-politique.be et http://www.economiepolitique.be

Face à la montée des nationalismes et de la xénophobie, la souveraineté alimentaire est plus nécessaire que jamais

Publié le Tribune parue dans Mediapart le 20 janvier 2017

Avec le Brexit, l’élection de Donald Trump, la montée de l’extrême droite en Europe et le développement des migrations, il est urgent d’intensifier la coopération entre les pays et leurs populations. Les guerres, le dérèglement climatique, l’épuisement des ressources naturelles, la pauvreté massive, la faim et la malnutrition mais aussi l’accroissement des inégalités sont autant de problèmes fondamentaux que l’humanité doit chercher à résoudre ensemble. On ne peut le faire sans remettre en cause à la fois la mondialisation néolibérale actuelle, et les orientations xénophobes et nationalistes qui se présentent contre la globalisation économique tout en protégeant et renforçant leurs propres intérêts.

Les fausses réponses au néolibéralisme sont à la une, notamment celle de Donald Trump qui, dans son projet présidentiel, d’un côté développe des protections contre les importations et bloque le Traité trans-pacifique, et de l’autre favorise le capitalisme financier, les multinationales américaines, les énergies fossiles et le capitalisme vert,… tout en niant le dérèglement climatique et réprimant les luttes sociales. L’Union européenne n’est pas en reste, qui impose à l’Afrique des accords de « partenariat » économique (APE) très inégalitaires et maintient dans la politique agricole commune (PAC) des outils de protection masqués et de dumping1. Les critiques officielles – y compris celles du FMI – des défauts ou excès de la mondialisation, le report du projet de traité transatlantique (alors que le CETA2 est en cours d’adoption), ainsi que la réduction actuelle des échanges internationaux, nous montrent que le cadre néolibéral actuel est à bout de souffle. Mais ces évolutions n’empêchent pas les multinationales de poursuivre leurs offensives, en se protégeant avec des brevets et en cherchant à imposer des tribunaux d’arbitrage privés dans les accords commerciaux.

Les mouvements sociaux luttent contre les projets de traité de « libre »-échange, pour la justice climatique, pour la solidarité internationale, pour la conquête de nouveaux droits pour les paysan(ne)s et pour le respect des droits humains partout dans le monde. Ces luttes diverses visent à répondre aux attentes des populations victimes des effets de la mondialisation néolibérale, dans les domaines de l’alimentation, de l’environnement, du revenu et de l’emploi, notamment. Au cœur de ces luttes s’inscrit le mouvement pour la souveraineté alimentaire, qui revendique le droit des populations à décider démocratiquement de leur politique agricole et alimentaire et vise un changement en profondeur de nos systèmes alimentaires.

Notre réponse à la montée des nationalismes et de la xénophobie réside dans le renforcement des mobilisations aux quatre niveaux (local, national, régional, international) qui permettront la conquête progressive de la souveraineté alimentaire, revendication portée depuis 1996 par le mouvement paysan mondial Via campesina et de nombreuses organisations. La souveraineté alimentaire, c’est « le droit des populations, de leurs pays ou unions, à définir leur politique agricole et alimentaire, sans dumping [ou mieux sans préjudices] vis-à-vis des autres pays », (Via campesina, 2003). Elle « place ceux qui produisent, transforment et consomment une alimentation locale et saine, au cœur des systèmes et politiques alimentaires et agricoles […] en lieu et place des exigences du marché et des transnationales … » (Forum Nyéléni, 2007). C’est une exigence démocratique, qui se situe à l’inverse de la captation du pouvoir par l’agenda des sociétés transnationales. Et ce n’est pas un agenda du repli sur soi : les mouvements sociaux qui revendiquent la souveraineté alimentaire expriment une solidarité transnationale, et ils ne contestent pas le rôle du commerce international – bien qu’ils appellent à sa régulation, et à un rééquilibrage entre commerce international et renforcement des systèmes alimentaires locaux.

La souveraineté alimentaire est à traduire à l’ONU en un nouveau droit commercial international, favorisant l’adoption aux niveaux national et régional de politiques agricoles adaptées aux besoins des pays en matière d’organisation des marchés et d’appui aux agricultures durables et favorables à des pratiques alternatives de production et d’échange. Elle vise à assurer la sécurité alimentaire dans de bonnes conditions. La souveraineté alimentaire n’est pas l’autarcie. Elle veut mettre le commerce international à sa juste place en donnant la priorité à l’agriculture et à l’alimentation de la population, non aux marchés. Elle donne un nouveau cadre favorable à des politiques de relocalisation des productions, à l’agro-écologie, à la protection et à l’accès durable aux ressources. Elle permet de développer des systèmes alimentaires donnant la priorité à la nutrition, à la santé, à l’environnement et adaptés culturellement.

Au plan international, elle fournit la base pour passer d’échanges actuellement hégémoniques – favorisés par les règles de l’OMC – au profit des Etats puissants et des sociétés multinationales, à des échanges de type coopératif, limitant les avantages des pays pouvant abuser de leur situation concurrentielle. Au devoir des pays de ne pas nuire aux économies agricoles des pays tiers doit correspondre le droit de mettre en place de réelles protections -droits de douanes et quotas d’importation notamment, justifiées sur les plans économique, social et écologique.

Face à la concentration globalisée du pouvoir alimentaire, la prise de conscience par les consommateurs et les citoyens des enjeux et de leur capacité d’action s’est bien développée. Les initiatives de relocalisation alimentaire se multiplient, mais restent fragiles dans le cadre des politiques actuelles. Dans cette bataille pour la souveraineté alimentaire, ne  laissons pas  les paysans seuls. L’alimentation est l’affaire de tous. Ensemble, organisations paysannes et citoyennes, certaines institutions, chercheurs, s’appuyant sur les réussites locales de « transition », nous devons proposer de nouvelles règles, de nouveaux cadres pour le commerce international agricole et les politiques agricoles et alimentaires. Il y a urgence. L’adoption prochaine d’une déclaration onusienne sur les Droits des paysans et autres personnes travaillant en milieu rural et les avancées au sein du Comité pour la sécurité alimentaire mondiale, notamment en ce qui concerne l’importance de l’accès aux marchés locaux, nationaux et régionaux pour les petits producteurs, devraient constituer autant de points d’appui vers la souveraineté alimentaire.

Par les mobilisations larges et plurielles qu’elle implique, comme par ses nombreux apports, la conquête de la souveraineté alimentaire constitue une bataille essentielle dans la période actuelle à hauts risques: pour faire reculer les nationalismes, les injustices, la xénophobie, pour la sauvegarde et le développement de l’agriculture paysanne, pour une alimentation nutritive et saine, accessible à tous, et pour la protection de la planète.

Par Michel Buisson, Auteur de « Conquérir la souveraineté alimentaire », l’Harmattan, 2013 ; Gérard Choplin, Auteur de « Paysans mutins, paysans demain-Pour une autre politique agricole et alimentaire », Editions Yves Michel, à paraître en février ; Priscilla Claeys, Senior Research Fellow in Food Sovereignty, Human Rights and Resilience, Centre for Agroecology, Water and Resilience (CAWR), Coventry University (UK) et Gustave Massiah, Auteur de « Une stratégie altermondialiste » Editions La Découverte Paris 2011 ; Représentant du CRID au Conseil International du Forum Social Mondial

Cosignataires :

Jacques Berthelot, Economiste, auteur de « Réguler les prix agricoles », L’Harmattan, 2013

Ibrahim Coulibaly, Président de la CNOP (Coordination Nationale des Organisations Paysannes) du Mali

Manuel Eggen, Chargé de recherche et plaidoyer FIAN Belgium

Christophe Golay, Auteur de « Droit à l’alimentation et accès à la justice », Bruylant, 2011, et « The Fight for the Right to Food. Lessons Learned », Palgrave Macmillan, 2011

Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération Paysanne

Geneviève Savigny, Coordination européenne Via Campesina

Olivier de Schutter, Ancien Rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation (2008-2014)

Aurélie Trouvé, Maître de conférences AgroParisTech, Porte-parole d’Attac

1 Les paiements directs de la PAC permettent d’exporter des produits agricoles à des prix inférieurs aux coûts de production. Notifiés indûment dans la « boîte verte » de l’OMC, ils sont sous la menace constante d’une poursuite à l’OMC. Associés à des prix agricoles alignés sur les cours mondiaux, ils sont de fait une subvention à l’agro-industrie et à la grande distribution, qui s’approvisionnent à bas prix en produits européens.

2 Accord commercial signé entre l’UE et le Canada mais non encore ratifié

Etude d’un texte publié par Libération le 30/12/2016

Ceta/ Affront wallon

Le titre sous entend que la Wallonie (dans son tort?) agresse les « gentils négociateurs » (dans leur droit ?)

Par Jean Quatremer 30 décembre 2016 à 17:16 Libération
http://www.liberation.fr/planete/2016/12/30/ceta-affront-wallon_1538290

 Cet accord commercial négocié entre l’Union et le Canada serait resté méconnu sans le TTIP (ou Tafta), l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis que la Commission négocie au nom des Etats membres depuis 2013. En effet, les opposants au TTIP, qui craignent un affaiblissement du modèle social européen au bénéfice des multinationales , ont vu dans le Ceta à la fois sa préfiguration et son cheval de Troie, la plupart des entreprises américaines ayant un siège chez leur voisin du nord (ce sont bien « les opposants » qui pensent du mal du CETA, pas Jean Quatremer ou Libération). C’est la petite Wallonie, l’un des trois Etats fédérés belges, qui a sonné la révolte (« sonné la révolte » pas revendiqué ses droits, donc des séditieux quelque-part) en s’opposant le 21 octobre à la signature du Ceta par le gouvernement emmené par Charles Michel. Moyennant des concessions, elle a levé son veto une semaine plus tard. Mais l’accord doit encore être ratifié par une quarantaine de Parlements (européen, nationaux, subnationaux)… Seule bonne nouvelle pour les partisans du Ceta : le TTIP est congelé pour une longue période (ceci supposerait une opposition entre les partisans du CETA et les partisans du TTIP ? (??)), Donald Trump étant farouchement opposé à ces accords de libre-échange. Ce qui enlève un argument de poids aux anti-Ceta (ceci supposerait que les « anti-CETA » soient mécontents de l’abandon du TTIP ? (??)).

Cet article, en se posant dans une pseudo neutralité, attribue aux négociateurs une validité qu’ils n’ont pas puisqu’ils agissent contre la démocratie et pour une barbarie économique venue des staffs d’entreprises transnationales. Il insinue d’autre part des faux conflits et des faux arguments de nature à détourner le lecteur de la réalité de l’opposition aux traités de libre-échange.

Jean Quatremer

L’avenir du libre-échange entre les mains de la CJUE

L’avenir des CETA, TAFTA … entre les mains de la Cour de Justice Européenne (CJUE)

L’accord avec Singapour pourrait néanmoins avoir une importance capitale pour l’avenir des relations commerciales de l’UE.

Dans un avis publié le 21 décembre, l’avocate générale de l’UE, Eleanor Sharpston estime que certaines parties de l’accord conclu entre Singapour et l’Europe ne tombent pas sous la compétence exclusive de l’UE et devront donc être ratifiées par les parlements nationaux, un processus qui a failli faire capoter le CETA, l’accord de libre-échange avec le Canada.

L’avis juridique n’est pas légalement contraignant, mais la Cour de justice européenne (CJUE) contredit rarement les conclusions des avocats-généraux. Un verdict complet est attendu au début de l’année prochaine.

Sans un communiqué, la CJUE indique qu’Eleanor Sharpston « considère que l’accord de libre-échange avec Singapour ne peut être conclu que par l’Union et les États membres agissant de concert ».

La justice européenne a été saisie par la Commission elle-même, qui voulait confirmer qu’elle avait toute l’autorité nécessaire pour négocier des accords de libre-échange quand ils n’incluent aucun facteur dont sont uniquement responsables les États membres.

Zones grises

En ce qui concerne l’accord avec Singapour, plusieurs sujets font cependant débat, comme le transport maritime et aérien, ou encore les normes environnementales et le droit du travail. Ces questions tombent en effet dans la zone grise des compétences qui ne sont pas clairement attribuées à l’UE ou à ses membres.

Eleanor Sharpston a également souligné que l’UE n’avait pas le droit de négocier de nouvel accord qui affecterait les traités bilatéraux déjà conclus entre les États membres et les cités-États d’Asie du Sud-Est.

L’avocate générale s’est donc rangée du côté des États, bien qu’elle admette qu’« une procédure de ratification impliquant tous les États membres et l’Union peut soulever certaines difficultés ». Elle considère toutefois que « cet inconvénient ne saurait avoir une incidence sur la réponse à donner à la question de savoir qui est compétent pour conclure cet accord ».

Elle n’a pas remis en question le droit exclusif de négocier et de conclure des accords de libre-échange au nom des Vingt-huit dont jouit Bruxelles, au contraire, mais précise que tout accord concernant les services de transport, les marchés publics et tout ce qui a trait au travail et aux politiques environnementales devra être approuvé par les États membres.

L’exécutif européen a salué l’avis légal, un « élément important » pour l’établissement d’une décision par la CJUE, mais insiste sur le fait qu’« aucune conclusion définitive » ne pourrait être prise avant le verdict final.

L’accord de 38 parlements nécessaire

Les accords commerciaux qui tombent uniquement sous la responsabilité de la Commission sont en général appliqués très rapidement, puisqu’ils ne nécessitent que l’approbation du Parlement et du Conseil. Les accords mixtes doivent quant à eux obtenir le feu vert des parlements nationaux, et, dans certains cas, régionaux, comme c’est le cas avec le CETA. Un processus qui peut ajouter plusieurs années aux négociations.

Cela pourrait signifier que les accords commerciaux nécessiteront l’approbation d’un total de 38 parlements et chambres hautes. Étant donné l’opposition croissante au libre-échange, ce processus de consultation pourrait sonner le glas des grands accords favorisés par l’UE ces dernières années.

Shira Stanton, conseillère de Greenpeace sur la politique commerciale européenne, s’est réjouie de l’avis de l’avocate générale et a appelé le Parlement et la Commission a attendre la décision de la CJUE avant d’aller plus avant avec le CETA. « Le Parlement européen devrait à présent demander l’avis de la Cour sur le mécanisme de protection de l’investissement prévu par le CETA », assure-t-elle.

Une leçon pour le Brexit ?

L’avis d’Eleanor Sharpston n’a probablement pas été du goût du gouvernement britannique, qui comptait conclure un accord de libre-échange avec l’UE après sa sortie du bloc. Theresa May et son équipe ont en effet mentionné à de nombreuses reprises la possibilité d’un accord complet avec l’UE. Si la CJUE décide de suivre l’avis de son avocate générale, le Royaume-Uni pourrait devoir attendre un bon moment avant de voir ses relations commerciales avec ses anciens partenaires facilitées…. Sans avoir la certitude qu’un parlement national ne mettra pas son veto au dernier moment.

C’est ce qui aurait pu se passer lors de la finalisation des négociations du CETA, quand la Région wallonne a décidé de bloquer l’accord pendant quelques jours, au grand désarroi des responsables européens et canadiens, dont Chrystia Freeland, la ministre au Commerce.

Dans le cas d’un verdict contraire à l’accord, l’UE se verra probablement forcée de modifier en profondeur sa manière de négocier ses accords. Au lieu des accords transversaux du type du TTIP et du CETA, qui ont mobilisé une opposition importante au sein de la société civile, Bruxelles pourrait à l’avenir se tourner vers des accords de moindre envergure, spécifiques à des secteurs précis.

L’accord avec Singapour, qui est loin d’être le plus visible, rentable ou ambitieux, pourrait donc néanmoins avoir une importance capitale pour l’avenir des relations commerciales de l’UE.

 


Ceta : la fronde monte aux Pays-Bas

Ceta : après la Wallonie, la fronde monte aux Pays-Bas

Un mouvement réclamant l’organisation d’un référendum sur le traité de libre-échange UE-Canada (CETA) prend de l’ampleur aux Pays-Bas, et pourrait mettre un nouveau grain de sable dans la belle mécanique déroulée par Bruxelles.
– Sipa
Des militants néerlandais ont affirmé ce week-end avoir réuni près des deux-tiers des signatures nécessaires pour contraindre leur gouvernement à organiser un référendum sur le traité de libre-échange UE-Canada (CETA), possible nouveau revers après la résistance wallonne à cet accord.
Le CETA, négocié depuis sept ans, avait finalement été signé fin octobre à Bruxelles avec plusieurs jours de retard en raison des réserves de la région belge de Wallonie, à l’origine de vifs désaccords entre Belges. L’accord, qui supprimera 99% des droits de douane entre l’UE et Ottawa, entrera en application provisoire dans les prochains mois mais doit ensuite être approuvé par l’ensemble des Parlements nationaux et régionaux de l’UE pour devenir définitif.

« Je suis pro-UE »

Des groupes citoyens aux Pays-Bas appellent à un référendum pour décider si le Parlement doit ratifier le CETA, tout comme l’impopulaire TTIP (ou Tafta) en discussion avec les Etats-Unis. Une pétition lancée en octobre 2015, mais qui s’est nourrie d’un regain d’intérêt ces dernières semaines, a déjà réuni 190.400 signatures sur les 300.000 nécessaires pour imposer ce référendum au gouvernement.

« On veut dire clairement aux politiques que ces accords devraient être discutés plus ouvertement et radicalement modifiés », a expliqué Niesco Dubbelboer, du mouvement Meer Democratie (plus de démocratie, ndlr). Ces traités « sont des accords vieillots, post-coloniaux, qui favorisent les intérêts des grosses entreprises et investisseurs », argumente-t-il, estimant que les questions « du climat et de la durabilité devraient être davantage en première ligne ». Cette organisation s’est alliée au groupe néerlandais de défense de l’environnement Milieudefensie, et d’autres ONG.

En avril, un référendum consultatif de ce type, convoqué par des groupes eurosceptiques, avait rejeté un accord-clé entre l’Union européenne et l’Ukraine, mettant le Premier ministre Mark Rutte dans l’embarras face aux 27 pays de l’UE ayant déjà ratifié l’accord et l’obligeant, sur le plan intérieur, à tenter de négocier un compromis. Les organisateurs de la pétition anti-CETA se défendent d’être eurosceptiques. « Je suis pro-UE », affirme Niesco Dubbelboer, « mais je crois que l’Europe devrait être plus démocratique ». Un référendum, si les 300.000 signatures étaient acquises, ne serait vraisemblablement pas organisé avant plusieurs mois et sans doute pas avant les législatives prévues en mars.

Newsletter du 28/10/2016 no-transat.be le combat n’est pas terminé !

CETA & TTIP

le combat n’est pas terminé !

L’origine du combat

En 2011, lorsque nous lancions la plateforme No Transat ! pour alerter des dangers de possibles tractations politiques entre l’Union européenne et les états-Unis (tractations faites à la demande de puissantes multinationales), on pouvait nous prendre pour des illuminés (le TTIP n’avait pas encore d’existence officielle) ou de doux rêveurs (comment allions-nous intéresser l’opinion publique ET les acteurs politiques aux enjeux démocratiques, écologiques et sociaux de tels accords négociés en secret dans de hautes sphères ?).

En 2013, le lancement officiel des négociations sur le TTIP nous donnait raison sur le 1er point (non, nous n’étions pas des illuminés…) tandis que de nombreux mouvements sociaux – à commencer par l’Alliance D19-20 – décidaient d’entrer dans la danse militante contre l’austérité et le TTIP. Quant au CETA, le « petit » frère du TTIP, on doit sa découverte à la vigilance du CNCD.Tous ensemble, nous avons milité durant ces années pour faire sortir de l’ombre les enjeux citoyens de ces traités, sans jamais ménager ni notre peine intellectuelle (analyse et décryptage des textes) ni notre temps militant (conférences et formations, actions et manifestations, auditions parlementaires…). Récemment, le collectif www.stopttip.be a vu le jour, incluant en son sein tout ce que la société civile belge (francophone et néerlandophone) compte comme organisations militantes (syndicats, mutuelles, ONG, asbl défendant les droits de l’homme, le social ou l’environnement).

Oui mais… Tout ça pour conduire à quoi ?

Quels résultats concrets ?

La 1ère avancée obtenue par la mobilisation anti-CETA/TTIP fut de convaincre la presse d’arrêter de copier/coller les déclarations lénifiantes de la Commission européenne, pour laisser place à quelques arguments contradictoires. Certes, les médias n’ont jamais vraiment parlé de nos griefs à l’encontre du shopping législatif ou de la coopération réglementaire prévue par le CETA et le TTIP, mais ils ont quand même abondamment parlé du problème des Tribunaux d’arbitrage privés, découvert le principe des listes négatives (libéralisant par défaut tout secteur non protégé par un gouvernement au moment de la signature de l’accord) et donné du crédit aux risques de nivellement par le bas de normes sociales, sanitaires et écologiques.

Une 2ème avancée obtenue par la mobilisation anti-CETA/TTIP fut d’imposer à la Commission européenne une première réforme – certes cosmétique – des Tribunaux d’arbitrage, le RDIE (Règlements des Différends Investisseurs-états) laissant place à l’ICS (Investment Court System) avec davantage de transparence dans la procédure et la possibilité d’aller en appel des décisions. Le système n’en reste pas moins une « justice sur mesure » trop favorable aux multinationales.

Autre victoire sur la Commission européenne : poussés dans le dos par leur opinion publique, plusieurs états (dont l’Allemagne) ont fait savoir qu’ils voulaient que le CETA soit reconnu comme un accord « mixte » (c’est-à-dire mettant en jeu des compétences européennes ET nationales). La mort dans l’âme, la Commission européenne s’est résignée à cette proposition (qui impliquaitipso facto de prendre en compte l’avis des Parlements nationaux) sans s’imaginer un seul instant que cela pourrait bloquer la procédure de ratification dès son arrivée en Conseil européen. Mais voilà : alors que l’unanimité des états-membres était requise pour dire oui à cet accord mixte, plusieurs entités fédérées belges (Parlement wallon, Parlement bruxellois, Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles) ont fait savoir que leur opposition au CETA, exprimée de longue date, n’avait pas changé d’un iota.  Et ce fut l’ouverture d’un psychodrame…

Côté officiel, les pleurs et lamentations ont côtoyé les pressions, ultimatums et autres couteaux sous la gorge de l’entité honnie entre toutes : le gouvernement wallon. Pour nous, ce fut une sacrée victoire : alors que les traités bilatéraux d’investissements passaient généralement le cap du Conseil européen comme une lettre à la poste, un gouvernement élu s’opposait enfin à la ratification du CETA ! Et provoquait un débat public qui a fait la une des journaux du monde entier… C’est, en soi, une immense victoire pour nous tous qui mobilisons contre le CETA, TTIP et autres TISA depuis des années. 

Mais, aujourd’hui, que penser de l’accord « CETA bis » négocié par la Région wallonne avec le Canada, la Commission européenne et les autres entités décisionnelles belges ?

Qu’a obtenu le gouvernement wallon (et les autres entités fédérées) ?

Négocié par le gouvernement wallon avec le Canada, un « Instrument interprétatif commun » va être annexé au CETA. Valable pour toutes les parties prenantes de l’accord, ce document important va limiter la casse « libéralisation / privatisation / mise en concurrence » dans des secteurs importants : marchés publics, secteur de l’eau, services publics et (pour la seule Belgique) sécurité sociale. Dans tous ces domaines, le gouvernement wallon semble avoir obtenu[1] de sérieuses garanties pour les autorités publiques à pouvoir réguler (y compris en renationalisant des secteurs privatisés) en fonction de l’intérêt général. De même, les tristement célèbres Tribunaux d’arbitrage privés vont devoir être revus, dans le but d’en faire des Tribunaux pleinement publics, priés de ne pas accepter les plaintes abusives des multinationales (face à des législations sociales ou environnementales). Si on doit saluer cette avancée, le problème de base n’a pas changé : on crée un système judiciaire spécialement dédié aux conflits états-Investisseurs, et seuls ces derniers peuvent déposer plainte en prenant pour référence juridique les traités commerciaux internationaux (dont l’ADN est bien plus favorable aux investisseurs que celui des Constitutions nationales). Enfin, l’accord belgo-belge stipule que la Belgique demandera à la Cour de Justice européenne de se prononcer sur la légalité des nouvelles procédures d’arbitrage, tandis que les Régions pourront imposer à la Belgique de ne pas ratifier définitivement le CETA en cas d’évaluation négative dans les mois ou les années qui viennent.

Que reste-t-il comme problèmes ?

Ces aménagements du texte ne sont pas rien. Ce sont des « avancées » qui limitent sérieusement la « casse sociale » initialement promise par le CETA. Ce dernier est-il pour autant un bon accord politique qu’on devrait s’empresser de ratifier ? Plusieurs raisons nous poussent à dire « pas si vite ! ».

Premièrement, c’est durant une petite dizaine de jours que les négociateurs bruxellois et wallons ont cherché à aménager un texte négocié durant plusieurs années et… long de 1.600 pages. Il est difficile, dans un tel contexte, de modifier en profondeur les lignes de force initiales du CETA.

Sans rentrer dans tous les détails, on peut dire que les enjeux suivants restent problématiques :

1)      Le « shopping législatif » sort renforcé : aujourd’hui, le marché unique européen met déjà en concurrence les systèmes fiscaux, sociaux et environnementaux non harmonisés à l’échelle européenne. Plutôt que de solutionner ce problème crucial en optant (par exemple) pour une harmonisation fiscale, l’Union européenne va élargir le shopping législatif au Canada en ratifiant le CETA (et à d’autres pays au fur et à mesure que de nouveaux accords de « libre-échange » seront engrangés) ;

2)      Le problème des listes négatives demeure : si certains domaines importants (sécurité sociale, services publics, marchés publics) ont été préservés grâce aux négociations imposées par la Région wallonne, il n’en reste pas moins que le principe des listes négatives (qui font de la libéralisation et de la mise en concurrence le principe de fonctionnement « par défaut » de l’économie) reste acté dans le CETA. Ce qui constitue un important recul par rapport aux anciens traités internationaux ;

3)      La coopération réglementaire fait toujours du CETA un accord vivant : même si elle n’a passtricto sensu force de loi, la coopération réglementaire ouvre une sorte de droit de négociation permanent à des instances technocratiques UE-Canada dans de nombreux domaines ayant un impact sur l’emploi, l’environnement ou notre alimentation. Qui plus est, des principes telle que l’évaluation « coût-bénéfice » des « obstacles non-tarifaires » (sic) au commerce ou la volonté de traquer les « coûts inutiles » de recherches scientifiques menées séparément en Europe et au Canada poussent clairement à confier davantage d’initiatives, de discussions et de négociations à des instances transatlantiques, opaques et non élues, loin de tout contrôle démocratique ;

4)      L’enjeu climatique : alors qu’il faudrait réduire de toute urgence l’empreinte écologique de l’humanité et le réchauffement climatique (qui créent déjà des drames sociaux et des réfugiés climatiques), le CETA continue d’internationaliser des secteurs d’activités (notamment l’agriculture) au détriment de l’emploi local et du contrôle des émissions de CO2. C’est, en soi, parfaitement absurde !

Quel bilan, quel avenir ?

On doit saluer le travail fait par les Parlements wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et les gouvernements qui s’en sont faits les porte-parole, car ils ont été les seuls à oser mettre le doigt sur certaines « questions qui fâchent », quitte à s’attirer moult critiques et pressions diplomatiques, affairistes, médiatiques…

À l’inverse, les « avancées obtenues » n’empêchent pas le CETA de porter certains défauts et déséquilibres inhérents à son acte de naissance (des années de négociations opaques, menées par des technocrates à la demande de firmes multinationales).

En 2011, nous avons été parmi les premiers à lancer l’alerte.

Aujourd’hui, nous continuerons à faire un travail d’analyse et de vulgarisation, notamment pour expliquer de façon simple et accessible les enjeux démocratiques, écologiques et sociaux de ce « CETA bis ».

Demain, avec toutes celles et tous ceux qui le désirent, nous continuerons à mobiliser pour obtenir davantage de changements et de meilleures réformes dans la manière d’organiser le commerce mondial. Ce qui, en l’état, continue de passer par le refus des CETA, TISA et autres TTIP.


[1] La formulation se veut prudente… étant donné le peu de temps pour prendre connaissance des documents (et leur articulation juridique avec le Traité en lui-même…).