Travail d’explication / actualisation de texte sur la pièce de théâtre « Cinna » de Pierre Corneille.

Couverture de l’édition de Cinna de Pierre Corneille. On trouve dans ce livre, en plus du texte de la pièce, des annotations de Voltaire et de Geruzez, un texte de Corneille de remerciement à son mécène monsieur de Montoron, un texte en latin de référence à Sénèque ou ce dernier parle de la clémence d’Auguste vis à vis de Cinna et un commentaire de Montaigne sur l’empereur Auguste.

Cinna 1 couverture

 

 

 

Annotée par Eugène Geruzez. Nicolas Eugène Géruzez, né à Reims le 6 janvier 1799 et mort à Paris le 29 mai 1865, est un historien de la littérature et critique littéraire français. Il édite de nombreux ouvrages d’auteurs tels que Corneille, La Fontaine, Molière, Racine, Jean-Baptiste Rousseau et collabore à de nombreux journaux. Il est également l’auteur d’études sur la littérature française, parmi lesquelles une Histoire de la littérature française, depuis ses origines jusqu’à la Révolution.

Cinna 2 page2

Monsieur de Montoron est le « sponsor » de Corneille qui lui en est très reconnaissant semble-t-il.

Cinna 3 Montoron1

La note de la page 1 ci-dessus est de la main de Eugène Geruzez.

Cinna page3

Ci-dessus : Corneille est plutôt obséquieux vis à vis de son mécène.

 

Cinna 7 Voltairep5

Cinna 8 Montaigne1p9

Cinna 9 Montaigne - p10

Cinna 10 Montaignep11

Le texte de Montaigne ci-dessus peut être considéré comme la traduction du texte de Sénèque en latin qui le précède dans le fascicule. On peut y constater que Corneille a repris, dans sa pièce, point par point, les faits relatés par Sénèque puis par Montaigne. Même si Voltaire émet des doutes sur la réalité de ces évènements énoncés par Sénèque, la mansuétude du prince dont il s’agit devait faire partie des utopies en vigueur aux temps de Sénèque, de Montaigne, de Corneille et de Voltaire. Une utopie que personnellement je ne méprise pas bien que démocrate convaincu. Dans cet ordre d’idées, j’avais été impressionné par le rôle du roi anglais dans le film de Tom Hooper « le discours du roi ».  Le roi Georges VI y prononce en Septembre 1939 un discours historique qui place l’Angleterre en guerre contre l’Allemagne nazie. Ce discours est particulièrement méritoire à un moment ou la puissance militaire nazie semble dominer l’Europe. Il n’était pas facile d’obtenir la contribution de tous dans cette lutte. Georges VI apparait comme le rassembleur des anglais et le dépositaire de certaines valeurs essentielles. Les anglais ont manifestement une vision de leur roi qui confine au sacré. Leur roi n’est pas une personne comme pourrait l’être un homme politique, leur roi c’est eux, le roi d’Angleterre représente chacun des individus du peuple anglais. Plus le roi est riche, plus le roi est fastueux, plus les anglais sont heureux parce que c’est très viscéralement eux même qui sont riches et fastueux.  Dans son discours de 1939 Georges VI obtient l’aide de chaque anglais (comme on a pu le voir par la suite), il était le seul à pouvoir le faire. Peu d’hommes dans nos régimes démocratiques ont su montrer suffisamment de charisme, de mérites et d’intelligence pour emporter de leur seul fait l’assentiment général. Depuis Napoléon et De Gaule notre paysage politique s’appauvrit jusqu’à l’indigence.

Voir les commentaires de Voltaire ci-dessus.

Cinna 13 Emiliep17

Ci-dessus acte 1 scène 2. J’aime bien comme Corneille dépeint le désarroi d’Emilie  au début :

« Mon esprit en désordre à soi-même s’oppose;

je veux et ne veux pas, je m’emporte et je n’ose; » …

Puis Emilie se reprend et, malgré une situation passablement complexe, sait retrouver le chemin de son « devoir ». Oui entre guillemets puisqu’on a du mal à imaginer que son devoir puisse être d’imposer à son amoureux (Cinna) de tuer son père adoptif (Auguste). De nos jour une telle attitude relèverait non seulement de la psychopathologie mais elle serait condamnée par la loi pour incitation au meurtre. On comprend bien qu’Emilie est un levier indispensable pour la pièce et que Corneille l’a voulu ainsi mais on a du mal à imaginer la vie à deux, ensuite, entre Emilie et Cinna.

Cinna 15 Emilie p19

Ci-dessus acte 1 scène 3, le complot se présente bien et l’accord règne entre Cinna et Emilie.

Cinna 16 A1 S4 p24

Ci-dessus acte 1 scène 4, « coup de théâtre ». Comme le fait remarquer Voltaire « l’intrigue est nouée », le spectateur, pour l’instant aime le couple persécuté Cinna / Emilie et déteste Auguste le tyran.

Cinna 17 A2 Sc 1p34

Ci-dessus acte 2 scène 1. Maxime réconforte Auguste et l’incite à rester empereur alors que celui-ci doute et se demande si devant tant d’opposition et de rancœur il ne devrait pas abandonner ses fonctions. Donc Maxime qui fait partie du complot contre Auguste, l’incite à persévérer pour pouvoir l’assassiner. On dit bien « situation cornélienne » mais là, Corneille bat des records.

« On hait la monarchie; et le nom d’empereur,

Cachant celui de roi, ne fait pas moins d’horreur, »

Banalisation généralisation de la haine du prince qu’il soit roi ou empereur (Louis XIV a du comprendre le message) et reconnaissance du mérite et de la solitude de ce dernier.

Cinna 18 A2 Sc1p34

Ci-dessus acte 2 scène 1 toujours. Cinna atteint un niveau d’hypocrisie supérieur puisqu’il fait la morale à Auguste en lui trouvant des raisons élevées de rester empereur alors que son but est de le maintenir dans ses fonctions pour pouvoir l’assassiner. Cinna exprime une certaine vision de la royauté où le prince est un « bon prince » et où quoiqu’il en soit « quand le peuple est maître, on agit qu’en tumulte; ». C’est ce que doivent penser nos commissaires européens qui négocient en secret et fuient les mécanismes démocratiques.

Cinna 20 A2 Sc 1p35 Cinna 23 c A2 Sc 1p36

Ci-dessus la suite du paragraphe au-dessus. Acte 2 scène 1. Cinna donne une description catastrophiste du pouvoir populaire

« Le pire des états, c’est l’état populaire »

Catastrophiste vraiment ?

« Dans le champ du public largement ils moissonnent »

ou :  « Elus en disant ce que l’électeur aime à entendre » ?

« Les honneurs sont vendus aux plus ambitieux »  « L’autorité livrée aux plus séditieux »

ou : « N’arrivent aux commandes que des spadassins du pouvoir »

Cela rappelle bien des réalités contemporaines en usage dans nos démocraties. Maxime utilise une forme de déterminisme géopolitique pour justifier le régime démocratique à Rome;

Cinna 21 A2 Sc 1p36Cinna 22 b A2 Sc 1p36

Acte 2 scène 1. Les portes de Janus divinité romaine étaient fermées quand Rome était en paix.

Cinna 24 A2 Sc 1p37

Acte 2 scène 1. ci-dessus, Cinna ou le malheur des temps.

« Depuis que la richesse entre ces murs abonde,

Et que son sein fécond en glorieux exploits,

Produit des citoyens plus puissants que des rois,

Les grands, pour s’affermir achetant des suffrages,

Tiennent pompeusement leurs maîtres à leurs gages, »

Nous n’avons décidément rien inventé avec nos hommes politiques et nos technocrates à la solde des multinationales et de leurs lobbies.

Cinna 26 A2 Sc 1p39Cinna 27 d A3 Sc 1p43Cinna 28 A3 Sc 1p43Cinna 29 A3 Sc 1p44

Au dessus  Acte 2 scène 1. Auguste couvre Cinna de faveur et il lui donne Emilie sans savoir que Cinna comme Emilie souhaitent sa mort. Ci-dessus : Acte 3 Scène 1 : Maxime déclare à Euphorbe qu’il aime Emilie. Voir le commentaire de Voltaire.

Cinna 30 b A3 Sc 3p51

Ci-dessus : Acte 3 Scène 3  Monologue de Cinna, il s’avoue être complètement dépendant du vouloir d’Emilie (son « aimable inhumaine »). Mais il préfèrerait ne pas avoir à assassiner Auguste pour lui plaire, son seul espoir est de la convaincre de renoncer au complot contre Auguste. Ci-dessus Acte 3 Scène 4 : Emilie n’est pas d’accord.

EMILIE

« Je fais gloire, pour moi, de cette ignominie;
La perfidie est noble envers la tyrannie;
Et quand on rompt le cours d’un sort si malheureux,
Les cœurs les plus ingrats sont les plus généreux.

CINNA

Vous faites des vertus au gré de votre haine.

EMILIE

Je me fais des vertus dignes d’une romaine.²

Cinna 32 A3 Sc 4p54

Ci-dessus Acte 3 Scène 4. La remarque de Voltaire concerne la dernière réplique d’Emilie « Je me fais des vertus dignes d’une romaine ». Cinna ne réussi donc pas à la dissuader.

 

Ci-dessus Acte 4 Scène 1  Auguste vient de découvrir le complot.

 

Ci-dessus Acte 5 Scène 3 Auguste pardonne. On voit que la situation s’est inversée depuis l’Acte 1 Scène 3, le public aime, maintenant, Auguste et se retourne contre le couple Cinna / Emilie qui n’est plus persécuté mais assassin.

« Je suis maître de moi comme de l’univers;

Je le suis, je veux l’être. O siècles! ô mémoire »

Ces deux vers avaient beaucoup impressionné mes 17 ans.

Cinna 35 A5 Sc 3p85Cinna 36 A5 Sc 3p86

On comprends quel pu être l’accueil de cette pièce à la cour de Louis XIV peu de temps après la fronde. La bataille de Marfée dont fait mention Voltaire opposa le principauté de Sedan aux troupes du roi de France (Louis XIII) en 1641.
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